Le Fils de Pardaillan
renseigné ?
– Non, déclara loyalement Sully. On me l’a dénoncé ce matin, ici… J’avoue que je ne connais pas le dénonciateur.
Pardaillan le regarda d’une manière significative et, hochant la tête :
– Et il ne vous en a pas fallu davantage pour ordonner une arrestation ? Diable ! Savez-vous que cette manière expéditive n’est guère rassurante pour les honnêtes gens ?
– Je vous comprends, dit gravement Sully. Mais l’affaire dont il s’agit est d’une gravité exceptionnelle. Remarquez, d’ailleurs, qu’il ne s’agissait pas d’une arrestation. J’allais interroger l’homme moi-même. Et j’aurais décidé d’après ses réponses.
– Bon, fit Pardaillan d’un air méprisant, il n’en est pas moins vrai que l’anonyme qui est venu ici dénoncer ce brave garçon me fait l’effet d’être un lâche coquin qui poursuit je ne sais quelle basse vengeance… dont vous avez failli vous faire le complice.
– Ma foi, confessa Sully, je crois que vous avez raison. Et quant à ce garçon, je ne l’inquiéterai pas, puisque vous répondez de lui. Cependant…
– Cependant ? fit Pardaillan déjà hérissé.
– Qu’il évite, dit froidement Sully, qu’il évite d’aller rôder du côté de l’abbaye de Montmartre. Les parages de l’abbaye, d’ici peu, seront dangereux, peut-être mortels, pour quiconque je ne connaîtrai pas personnellement. A tout hasard, dites-le de ma part à ce Jehan le Brave.
Pardaillan s’inclina d’un air railleur, sans qu’on pût savoir s’il prenait bonne note de l’avertissement, ou s’il le dédaignait.
Pardaillan prit cordialement congé de Sully et s’en fut droit au
Grand-Passe-Partout
où il arriva comme la demie de sept heures venait de sonner.
Dame Nicole, qui le vit entrer, ne se livra pas à de bruyantes manifestations de joie. Seulement, sa figure soucieuse s’éclaira d’un bon sourire, et l’empressement qu’elle mit à dresser le couvert elle-même témoignait hautement que sa joie, pour être discrète, n’en était pas moins vive.
– Dame Nicole, fit paisiblement Pardaillan, vous me rendrez, s’il vous plaît, la lettre que je vous ai confiée. Elle devient inutile, puisque me voici de retour.
La lettre apportée, il la déchira en quatre et alla en jeter les morceaux dans le feu. Sur ces entrefaites, Jehan survint.
– Ma foi, dit joyeusement Pardaillan, vous arrivez à point pour m’éviter de retourner chez vous, d’abord. Ensuite, pour partager mon repas… Ne dites pas non… Vous n’avez pas dîné, je le vois à votre mine.
– J’avoue que je n’y ai pas pensé, fit le jeune homme non sans découragement.
– Quand je vous le disais !… Mettez-vous là, et me rendez raison. Morbleu ! je déteste manger seul. Nous causerons en même temps.
Les deux hommes s’attablèrent. Pardaillan remarqua avec satisfaction que Jehan faisait honneur au repas, bien qu’il fût amoureux, inquiet, triste et abattu. Ce qui, on en conviendra, était trois fois plus qu’il n’en fallait pour couper l’appétit à un homme ordinaire.
Le jeune homme fit le récit des recherches auxquelles il s’était livré toute la journée. Si long que fût ce récit, le résultat pouvait en être résumé en un seul mot : rien. Il n’avait pas découvert le plus petit indice qui pût le mettre sur la trace de Bertille.
Pardaillan l’avait écouté avec son inaltérable patience. Il n’eut garde de lui révéler qu’il s’était complaisamment laissé arrêter pour lui. Il ne parla pas davantage de la dénonciation de Saêtta – pour lui : Guido Lupini – et de la manière dont il l’avait réduite à néant – au moins pour un temps – en opposant sa parole à celle du dénonciateur.
Lorsque Jehan le Brave se leva pour prendre congé, il le retint doucement en disant :
– Je vous offre l’hospitalité… Je réfléchis que vous ne pouvez pas retournez chez vous.
– Pourquoi donc, monsieur ? s’étonna Jehan.
– Parce que vous n’y êtes pas en sûreté. Et prévenant les questions :
– N’oubliez pas que vous n’en avez pas fini avec Concini. Il vous hait de haine mortelle et ne renonce pas à vous atteindre, soyez-en bien persuadé. Or, il sait que vous habitez là… Il est assez puissant pour vous faire arrêter.
Jehan haussa dédaigneusement les épaules et, pour toute réponse, frappa rudement sur la poignée de sa rapière.
– Sans doute, fit négligemment
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