Le Fils de Pardaillan
trésor. Mordieu ! la curée commence : voici déjà Concini qui va se trouver aux prises avec le roi !… Seulement, là, les chasseurs vont se déchirer entre eux… pour, finalement, aboutir tous à la même déception. Je m’ennuyais. Voilà un spectacle que je ne manquerai pas de suivre… J’ai idée qu’il ne sera pas dépourvu ni d’intérêt ni d’imprévu. Ce me sera une distraction.
Il ne perdait pas de vue Saêtta, tout en monologuant de la sorte. A un moment donné, il allongea le pas et parut vouloir l’accoster… Peut-être avait-il songé à l’obliger à s’expliquer séance tenante. Il dut se raviser, car il ralentit brusquement le pas et le laissa continuer paisiblement son chemin. Et il reprit le cours de ses réflexions.
– Tout de même, voici la deuxième personne que j’entends accuser catégoriquement Jehan le Brave de songer à s’approprier ces millions !… Est-ce que décidément ce jeune homme ?…
Il haussa les épaules et acheva :
– Je deviens stupide et mauvais, ma parole !… Est-ce qu’il n’est pas clair que tout ceci n’est qu’une abominable machination ? En attendant, le voilà bien loti, ce garçon ! Heureusement, il est taillé à se défendre de toutes les manières. Et puis, je l’aiderai bien un peu, que diable !
Et avec un sourire narquois :
– Je cherchais de la distraction. En voici. La comédie d’un côté, le drame de l’autre. Je n’ai qu’à choisir.
Saêtta demeurait rue de la Petite-Truanderie. En face de sa maison, il y avait un puits, qu’on appelait le Puits-d’Amour, et sur lequel on a écrit pas mal de légendes. La maison était donc facile à reconnaître. Elle se trouvait, en outre, à deux pas de la rue Saint-Denis, où demeurait Pardaillan.
Le Florentin rentra chez lui, sans se douter le moins du monde qu’il avait été suivi. Pardaillan attendit le temps nécessaire pour s’assurer qu’il demeurait bien là, et, tranquille, il s’en fut au
Grand-Passe-Partout.
Jehan, qu’il espérait y rencontrer, ne s’y trouvait pas. Il alla à son logis, rue de l’Arbre-Sec, et, la porte n’étant pas fermée à clé, il entra délibérément. Jehan n’était pas chez lui.
Pardaillan jeta un coup d’œil sur le pauvre mobilier. Les ustensiles de cuisine retinrent un moment son attention. Et il sourit doucement. Puis, il hocha la tête, soupira, et tout pensif, il s’en fut à la lucarne et jeta un coup d’œil sur la maison de Bertille.
Et il s’oublia là un long moment, un sourire mélancolique aux lèvres. Evoquant sans doute un passé, combien lointain, et toujours si proche dans son cœur… Se revoyant lui-même, à vingt ans, perché sur une lucarne pareille, épiant patiemment, des heures durant, la maison d’en face… Emportant de la joie et du soleil plein le cœur et l’esprit lorsqu’une radieuse apparition, auréolée de fins cheveux d’or, s’était montrée une seconde à lui… Sombre, perdu dans le noir et la ténèbre, si la fenêtre d’en face était demeurée obstinément close !…
Le son prolongé du bronze égrenant lentement les onze coups au clocher de Saint-Germain-l’Auxerrois, vint l’arracher au pays des songes et le ramena à la réalité.
Il pensa tout haut :
– Sully n’agira que cet après-midi. J’ai au moins une couple d’heures devant moi. C’est plus qu’il ne m’en faut.
Il retourna à son auberge et se fit servir un copieux repas. Pendant qu’on dressait son couvert, il passa dans sa chambre, traça rapidement trois ou quatre lignes d’une écriture ferme et allongée, cacheta, scella et redescendit se mettre à table, sa lettre à la main.
– Dame Nicole, dit négligemment Pardaillan à l’avenante hôtesse qui le servait de ses blanches mains, il est possible que je ne rentre pas coucher ce soir. (Dame Nicole prit un air pincé. Pardaillan parut ne pas s’en apercevoir et continua imperturbablement.) Demain matin, à la première heure, vous m’entendez bien, à la première heure, vous entrerez vous-même dans ma chambre. Si vous ne m’y trouvez pas, vous irez, séance tenante, à l’Arsenal. Vous demanderez M. de Sully, de ma part, n’oubliez pas cela, dame Nicole : de ma part. On vous introduira près du ministre et vous lui remettrez la lettre que voici. Après quoi, vous pourrez revenir paisiblement chez vous.
Dame Nicole prit la lettre que le chevalier lui tendait.
Elle était sans doute bien dressée, car elle ne se
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