Le Fils de Pardaillan
permit aucune question. Seulement, son air pincé avait fait place à l’inquiétude. Pardaillan le vit, et, pour la rassurer, il ajouta avec un air froid qui lui fit passer un frisson sur la nuque :
– Si vous faites comme j’ai dit, vous me verrez revenir dans la journée en bonne santé… Si vous perdez cette lettre, si vous ne la remettez pas vous-même entre les mains du ministre lui-même, eh bien ! dame Nicole, regardez-moi bien… car c’est la dernière fois que vous me voyez.
Du coup, dame Nicole verdit et tomba lourdement sur une chaise qui se trouvait là à point nommé pour la recevoir, sans quoi, elle se fût étalée par terre. L’émotion lui avait coupé le souffle en même temps que les jambes.
– Ma chère amie, fit doucement Pardaillan, faites comme j’ai dit et tout ira bien, vous verrez.
Et, certain qu’elle obéirait, il se mit à dévorer en homme qui ne sait pas où et quand il pourra dîner.
Dame Nicole, cependant, avait filé, avec cette agilité spéciale que donne la terreur, jusqu’à sa chambre. Là, elle avait prudemment enfoui sous une pile de linge la précieuse lettre dont dépendait le salut de M. le chevalier. Après quoi, elle était revenue le servir avec une sollicitude touchante, des attentions délicates, qui dénotaient sa grande inquiétude.
Son repas achevé, Pardaillan eut un bon sourire pour dame Nicole, avec un regard qui signifiait : n’oubliez pas ! Et il s’en alla tranquillement, longtemps suivi des yeux par son hôtesse, qui avait voulu l’accompagner jusque sur le perron.
Vers deux heures de l’après-midi de ce même jour, une troupe d’une dizaine de soldats, commandés par un officier, escortant une litière, sortit de l’Arsenal, où le ministre Sully logeait en qualité de grand-maître de l’artillerie.
La troupe vint s’arrêter rue de l’Arbre-Sec, en face du logis de Jehan. L’officier fit ranger la litière, avec six hommes, dans le cul-de-sac, et lui-même, avec quatre hommes, entra dans la maison et monta jusqu’à la mansarde.
Selon son habitude, Jehan n’avait pas fermé sa porte à clé. Les soldats entrèrent doucement. Un homme, étendu sur une étroite couchette, roulé dans son manteau, dormait profondément. C’était Jehan le Brave évidemment.
En un clin d’œil, il fut saisi, solidement attaché, enlevé et porté dans la litière. Aussitôt les soldats entourèrent le véhicule et s’en retournèrent à l’Arsenal.
L’arrestation avait été si rapidement et si heureusement exécutée qu’elle passa inaperçue.
Le prisonnier fut enfermé à double tour dans un cachot. Par excès de précaution, on négligea de le débarrasser des liens qui l’enserraient. On le déposa sur une sorte de lit de camp, sur lequel, incapable de faire un mouvement, il fut contraint de demeurer dans la position où on l’avait placé.
On le laissa là jusqu’à six heures et demie. On avait ramené sur sa tête un pan du manteau, en sorte qu’on ne voyait pas sa figure. De plus, cela constituait un bel et bon bâillon sous lequel il devait étouffer quelque peu. Mais, de tout temps, un prisonnier a été considéré comme un animal malfaisant envers qui on ne saurait se montrer trop dur ni trop féroce.
Donc, vers six heures et demie, quatre solides gaillards entrèrent dans le cachot de Jehan le Brave. Ils le chargèrent sur leurs robustes épaules et, ouste ! ils l’enlevèrent, le portèrent il ne savait où, puisqu’il ne pouvait pas voir. On le déposa sur un siège et on dégagea sa tête, sans le détacher, toutefois. Ceci fait, les quatre hommes se placèrent derrière lui, attendant les ordres.
Lorsque le visage du prisonnier parut à la lumière, un homme qui se tenait assis devant une grande table de travail, se dressa tout effaré et s’écria :
– M. de Pardaillan !
C’était le ministre Sully. Pardaillan, car c’était bien lui, se trouvait, en prisonnier, dans ce même cabinet où il avait été reçu, dans la matinée, en visiteur de marque.
Il ne parut pas autrement étonné. On eût pu croire qu’il savait d’avance où il se trouvait. Il paraissait parfaitement calme et même quelque peu narquois.
Mais Sully, sous le coup de la stupeur que lui causait l’imprévu de cette rencontre, n’eut pas le loisir de faire ces remarques. Du reste, au même instant, Pardaillan grondait d’un air courroucé :
–
Cà, monsieur, que signifie cette sotte plaisanterie ?… Vos
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