Le Fils de Pardaillan
épaules.
– Soit, dit-il d’un air indifférent. Et se tournant vers ses hommes :
– Prenez-le ! ajouta-t-il.
Soldats et estafiers, confondus, se lancèrent à l’assaut. Jehan se redressa. Il leva son épée toute droite au-dessus de sa tête et d’une voix tonnante :
– Jehan le Brave ! à la rescousse.
Les hommes montaient en se bousculant, les derniers poussant les premiers. Jehan les laissa approcher. Quand il les eut à portée, son épée s’abattit comme la foudre, en coups de pointe précipités.
Des cris, des râles, des imprécations, des plaintes, des hurlements, suivis du bruit sourd de corps tombant lourdement et d’une débandade.
Quatre hommes gisaient inanimés, au pied du gibet. Les autres, dont quelques-uns légèrement blessés, les autres demeuraient massés au pied de l’escalier, effarés, hésitants.
Et, sans blessure, prodigieux, étincelant, superbement grandi, debout sur le monument d’infamie qui se changeait pour lui en piédestal triomphant, Jehan le Brave, encore une fois raide comme à la parade, l’épée levée au-dessus de sa tête, lançait d’une voix éclatante comme une fanfare son cri de combat :
– Jehan le Brave, hardi !… A la rescousse, Jehan le Brave !
Il y eut un deuxième assaut, plus froid, plus méthodique, plus résolu, les assaillants, enragés, décidés, cette fois-ci, à tuer et non à saisir le terrible truand. Une fois encore Jehan le Brave laissa approcher et sa rapière se mit à tournoyer, piquant, fourrageant de haut en bas, taillant de droite et de gauche. Encore une fois, des cris, des gémissements, des chutes, des jurons… Et la fuite précipitée.
Personne n’avait pu mettre le pied sur la plate-forme. Neuf corps étaient étendus raides, dans des flaques de sang. Et cela n’avait pas duré une minute. Et dominant la rumeur qui montait des groupes stupéfaits et furieux, la voix tonnante lançait là-haut, son cri terrifiant : cri de bataille, cri de triomphe et cri de mort :
– Jehan le Brave, à la rescousse !…
– Diable ! grommela l’officier soucieux, mais c’est un enragé, un diable à quatre que ce gaillard-là.
– Je vous avais prévenu ! grinça Concini en levant les épaules.
– Eh ! qui pouvait croire !… Tudieu ! quels coups !… Neuf hommes tués ou grièvement blessés, en un rien de temps !… Et lui !… regardez-le. Pas une égratignure.
A ce moment les deux troupes de cavaliers faisaient irruption sur la place. C’étaient des soldats. Ils étaient une cinquantaine en tout, commandés par un capitaine. A la tête de chaque groupe se trouvaient Longval et Eynaus qui avaient servi de guides.
Les deux gentilshommes et le capitaine se réunirent à Concini, Roquetaille et l’officier. Cela constituait comme un état-major de six personnes. L’officier, très satisfait de dégager sa responsabilité, rendit compte au capitaine et se plaça sous ses ordres, étant inférieur en grade.
Là-haut, Jehan soufflait. Il ne perdait pas de vue ses assaillants. Il avait jeté un coup d’œil autour de lui, et tout à coup on le vit aller et venir sur la plate-forme, occupé à quelque bizarre besogne, qu’on ne pouvait pas bien discerner d’en bas.
– Dommage ! murmura le capitaine. C’est un brave ! Mais enfin il faut que force reste au roi.
Le nouveau chef prit ses dispositions : dix hommes, face à chacun des côtés du gibet. Dix, face à l’escalier. Les hommes avaient leurs instructions. Jehan les regardait faire d’un air narquois. Chose étrange, il avait abandonné l’escalier et se tenait au centre de la plate-forme.
Le capitaine leva la main et cria :
– Allez !
Les hommes s’ébranlèrent vivement, mais sans hâte inutile. Ceux de l’escalier, montant prudemment les marches, la pointe de l’épée en avant. Ceux des côtés se faisant la courte échelle pour se hisser sur la plate-forme. Jehan ne bougeait toujours pas.
Tout à coup, il poussa son cri :
– Hardi, Jehan le Brave !…
On le vit se baisser et se relever au même instant. Quelque chose d’énorme se balança un inappréciable instant au bout de ses bras tendus et alla tomber dans le tas de ceux qui montaient les marches. Il se baissa encore et se releva quatre fois de suite dans la même manœuvre. Et chaque fois un projectile monstrueux, un bloc de pierre – que lui-même peut-être n’aurait pu soulever en temps ordinaire – vint s’abattre au milieu des groupes,
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