Le Fils de Pardaillan
mutuellement du coin de l’œil et ils se souriaient gentiment tous les deux. On voyait que chacun était content de l’autre. Et ils avaient si fière allure tous les deux que le roi lui-même s’oublia un instant à les contempler avec une visible admiration.
Cependant, Pardaillan, du bout des lèvres, pour son seul compagnon, murmura :
– Il était temps, je crois !
Et en même temps, il observait Jehan sans en avoir l’air, comme quelqu’un qui attend avec curiosité ce qu’on va lui répondre.
Franchement, très simplement, le jeune homme répondit entre haut et bas :
– Ma foi, oui !
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Chapitre 7
C érémonieusement, Bertille avait conduit le roi dans un petit cabinet, sorte d’oratoire très simple.
Cet oratoire était situé sur le derrière de la maison. L’unique fenêtre qui l’éclairait donnait sur le cul-de-sac Courbâton. C’est ce qui explique pourquoi le roi avait tant tardé à intervenir, avait même failli arriver trop tard pour arrêter les archers alors que, sur le devant, toute la rue était depuis longtemps réveillée et mise en émoi par le vacarme de l’arrestation mouvementée.
Henri se laissa choir dans un fauteuil et considéra un moment, d’un air rêveur, la jeune fille qui se tenait droite devant lui, dans une attitude très digne.
Après avoir rêvé un moment, il fit entendre un gros soupir et, doucement :
– Asseyez-vous, mon enfant, dit-il.
Docilement, sans un mot, la jeune fille prit place dans le fauteuil que lui désignait le roi, en face de lui.
Une fois encore, Henri la considéra attentivement en silence, soupira encore un coup et finalement :
– Vous êtes bien la fille de Blanche de Saugis ?
Doucement, sans provocation, sans aigreur, mais avec une singulière froideur, et comme si elle eût voulu d’un seul coup donner tous les renseignements qu’elle pressentait que le roi allait lui demander, la jeune fille répondit :
– Je suis bien la fille de Blanche de Saugis, morte de douleur et de honte en me donnant le jour, voici bientôt seize ans. Je suis bien une enfant naturelle… une bâtarde, comme disent les méchants, ma mère n’ayant pas eu d’époux légitime… Le petit domaine de ma mère est situé dans le pays chartrain, non loin de Nogent-le-Roi… Je suis bien celle que vous croyez et mon père est… celui que vous connaissez.
Ces paroles étaient prononcées avec une simplicité si digne, sur un ton de tristesse et de résignation si poignant que le roi, comme honteux, courba la tête.
Machinalement, avec une émotion qu’il ne parvenait pas à maîtriser, il murmura :
– Ma fille !…
Son émotion venait de ce qu’il pensait à son amour pour cette enfant qui se trouvait être sa fille. Sa honte et sa gêne venaient surtout de ce qu’il se rappelait dans quel but infâme il avait cherché à se faufiler chez elle.
En songeant qu’autrefois il s’était introduit de la même manière chez la mère, il avait abusé violemment d’elle comme il avait rêvé de le faire de sa fille, l’horreur que lui inspirait cette tentative hors nature réveillait en lui le remords d’une action honteuse depuis longtemps oubliée.
Car, rendons-lui cette justice, la découverte qu’il venait de faire avait déraciné l’amour en lui. Pour le moment, du moins, il ne voyait que sa fille. Et, très sincèrement, il se détestait d’avoir pu la souiller d’une pensée turpide.
Cette émotion dont elle ne pouvait comprendre le sens, on eût dit qu’elle surprenait et inquiétait la jeune fille.
Si le roi n’avait été si absorbé par ses souvenirs, il aurait été frappé de l’étrange expression de froideur de ces yeux ordinairement si doux, qui le dévisageaient avec angoisse. Il aurait remarqué le voile qui se répandit sur ce front si pur ; la crispation nerveuse de ces traits si fins et si délicats, le tressaillement douloureux qui la secoua toute lorsqu’elle l’entendit murmurer sourdement : « Ma fille ! »
Mais le roi ne remarqua rien. Il méditait toujours.
Après s’être consciencieusement morigéné, il s’avisa de songer que ce qu’il avait pris pour de l’amour, c’était tout simplement l’instinct paternel qui l’avertissait. Il se rappela fort à propos combien il avait été inquiété par cette ressemblance qu’il ne parvenait pas à fixer et il conclut en se disant :
– Mon cœur avait deviné que cette adorable enfant était ma fille. Et cela suffit pour
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