Le Fils de Pardaillan
secrète.
Cette chambre était toute petite. Elle n’avait pas de fenêtre. Elle était à demi éclairée par une imposte vitrée, au-dessus de l’unique porte par où les deux amis venaient d’entrer. Le mobilier se composait de deux étroites couchettes placées face à face, une table en bois blanc et deux escabeaux.
Sur cette table, on avait posé les éléments d’un repas très modeste : pain, légumes cuits à l’eau et une cruche d’eau. Ravaillac et le moine firent honneur à ce maigre repas. Ravaillac, de bon cœur, en homme habitué au jeûne et à l’abstinence ; Parfait Goulard, du bout des dents et en poussant force soupirs à fendre l’âme. Ravaillac but, à même la cruche, une bonne lampée d’eau qu’il déclara fraîche et délicieuse. Goulard, avec une intraduisible moue de dégoût, effleura le bord de la cruche du bout des lèvres et la repoussa aussitôt en disant :
– Pouah ! l’horrible breuvage. Non, décidément, je ne me sens pas le courage de souiller mes lèvres à ce contact impur.
Ayant ainsi manifesté énergiquement son opinion, il alla se jeter sur une des deux couchettes en invitant son compagnon à en faire autant. Ravaillac, en souriant de la mauvaise humeur du moine, suivit son conseil et lui aussi, tout habillé, il se laissa choir sur l’autre couchette.
Cinq minutes plus tard, il dormait d’un sommeil de plomb. Alors, Parfait Goulard se redressa, bien éveillé, lui. Il chercha à la tête de son lit le ressort qui actionnait la porte secrète et l’ouvrit.
Deux moines, robustes gaillards, parurent aussitôt. Ils saisirent le dormeur par les pieds et par les épaules et l’emportèrent comme un paquet. Goulard suivit. Pas une parole n’avait été échangée.
Cinq nouvelles minutes n’étaient pas encore écoulées que les deux moines avaient changé de maison et de cellule. Cette nouvelle cellule était absolument pareille à celle qu’ils venaient de quitter. L’œil le plus exercé n’eût pu découvrir la plus petite différence. C’étaient les mêmes dimensions, le même plancher uni comme une glace – ou comme un métal : fer ou acier – la même imposte vitrée par où tombait la même demi-obscurité, la même table en bois blanc, avec les reliefs du maigre repas qu’on y avait transportés, la même cruche, dont on avait changé l’eau après l’avoir rincée.
C’étaient aussi les deux mêmes couchettes. Sur l’une, Ravaillac dormait profondément. Sur l’autre, frère Parfait Goulard faisait semblant de dormir.
L’anéantissement de Ravaillac dura une heure environ. Au bout de ce temps, il se réveilla. Il ne s’aperçut pas qu’il avait changé de local. Il n’eut pas conscience d’avoir dormi. Il lui semblait qu’il n’y avait pas plus de cinq minutes qu’il s’était étendu sur le lit. Il avait la tête un peu lourde, mais il n’y prit pas garde.
Il se mit sur son séant et considéra avec un sourire indulgent l’énorme boule de graisse vautrée sur le lit qui faisait face au sien. Il écouta. Il perçut le souffle régulier de la boule. Il murmura :
– Il dort !… Déjà !…
Il hocha la tête d’un air attristé et sans acrimonie :
– C’est là ce qu’il appelle faire pénitence ! C’est ainsi qu’il comprend la retraite et qu’il fait ses dévotions !… Il est aussi indulgent pour lui-même que pour les autres. C’est un inconscient… mais c’est un brave homme. Allons, je payerai pour lui et pour moi.
Il se leva. Debout, il sentit ses jambes se dérober sous lui. Il dut s’appuyer à la table, sans quoi il serait tombé. Une chaleur lourde, accablante, pesait sur lui. Elle semblait se dégager du plancher et plus spécialement du mur qui faisait face à la porte. C’était à croire que des foyers puissants étaient établis là. L’air se raréfiait et sa respiration devenait plus pénible.
Il saisit la cruche et but à longs traits. Il se sentit plus à l’aise. Il s’approcha de Parfait Goulard et le considéra un moment. Le moine, immobile, avait le visage ruisselant de sueur. Son souffle s’oppressait. D’un air entendu, sans trouble et sans inquiétude, Ravaillac expliqua le phénomène en disant tout haut :
– Le temps est à l’orage !
Il revint à son lit et s’agenouilla sur le plancher, entre le lit et la table. Il tournait le dos à la porte, ne voulant pas être distrait par la lueur blafarde qui tombait de l’imposte. Et il se mit à prier
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