Le Fils de Pardaillan
Il vit la porte cadenassée du débarras, il vit celle derrière laquelle Acquaviva s’entretenait avec son lieutenant, il vit enfin l’escalier.
Silencieusement, il s’approcha de la porte. Les autres demeurèrent immobiles, ne le quittant pas des yeux, prêts à obéir au moindre geste, Pardaillan approcha de la porte sur la pointe du pied et il reconnut la voix de Parfait Goulard qui disait : « Il hait Jehan le Brave au-dessus de tout ! »
Il fit signe aux autres de ne pas bouger ; il se pencha, écouta et entendit toute la fin de cette conversation qui le renseignait sur la situation mortellement critique de son fils.
Lorsque Parfait Goulard ouvrit la porte, il le trouva devant lui. Pardaillan avait cette physionomie terrible à force de froideur, qu’il prenait dans les passes critiques ou dans ses moments d’émotion violente. Il avança et le moine dut reculer.
Acquaviva se promenait lentement. Il aperçut cet inconnu. Il vit les traits décomposés de son lieutenant. Et il comprit qu’un incident se produisait qui pouvait faire crouler ses combinaisons, qui pouvait être mortel. Il ne perdit pas son sang-froid. Il fit deux pas rapides vers la fenêtre.
Pardaillan avait déjà vu cette fenêtre ouverte. Son œil perçant avait déjà plongé au-delà et avait découvert un religieux qui, à une fenêtre de la maison d’angle de la rue de la Vieille-Monnaie, semblait méditer dévotement. Plus vif qu’Acquaviva, il alla à cette fenêtre et tira le rideau.
Parfait Goulard voyant la porte démasquée, s’y rua. Il se heurta à Gringaille, Escargasse et Carcagne qui lui barrèrent la route.
– Tiens ! C’est frère Parfait Goulard ! railla Gringaille, cet ivrogne de Parfait Goulard !
– Et autrement, dit Escargasse aimable, comment va ?
– Toujours aussi goinfre ? s’informa Carcagne. Parfait Goulard paya d’audace.
– Laissez-moi passer, mes enfants, je suis pressé ! dit-il.
– Bon, répondit Gringaille sans bouger d’une semelle, ce n’est pas comme nous. Nous avons le temps.
Le moine comprit qu’il était pris. Il coula sur eux un regard fielleux et recula lentement.
Pendant ce temps, Acquaviva, très calme, en apparence, disait avec hauteur :
– Cà, monsieur, que signifie cette violence envers un inoffensif religieux ? Depuis quand pénètre-t-on ainsi chez les gens ?
– Monsieur, dit Pardaillan, avec une froideur terrible, je suis le chevalier de Pardaillan. Ah ! vous comprenez !… Vous allez me conduire à l’instant même auprès de ce jeune homme à qui, d’après ce que je vous ai entendu dire, on inflige je ne sais quel monstrueux supplice. Marchez, monsieur, les instants sont précieux.
Acquaviva redressa sa tête pâle et fixa un œil scrutateur sur le chevalier. Il le jaugea, le soupesa, pour ainsi dire, d’un coup d’œil foudroyant. Il croisa ses mains dans les manches de son froc, avec une lenteur sinistre, en homme qui a le temps, lui, et, avec un accent intraduisible :
– Ah ! vous êtes monsieur de Pardaillan ! Eh bien, je refuse d’obéir à votre brutale injonction. Je suis curieux de savoir si le preux, le paladin qu’on prétend que vous êtes, osera frapper mortellement un faible vieillard comme moi.
Pardaillan comprit que le moine rusé cherchait à gagner du temps. Il se garda bien de donner dans le piège. Il fit un signe aux trois braves. Gringaille et Carcagne saisirent aussitôt frère Parfait Goulard, chacun par un bras. Le faux ivrogne était doué d’une force herculéenne. Il essaya de se dégager. Gringaille lui mit la pointe de son poignard sur la gorge et l’avertit charitablement.
– Si tu résistes, ta dernière heure est venue ! Sois raisonnable, frocard, crois-moi.
Et Parfait Goulard se le tint pour dit.
Pardaillan, lui, avait saisi Acquaviva par le bras et, d’une seule main, en une poussée irrésistible, il le traînait jusqu’à l’escalier qu’il se mit à descendre. En marchant, il s’expliquait de cette voix blanche qui dénotait chez lui une colère froide poussée à l’extrême limite.
– Le preux que je suis ne s’abaissera pas à frapper le faible vieillard que vous êtes, non, monsieur. Seulement, faites bien attention à ceci : nous descendons ; si vous ne vous décidez pas, si, par votre faute, mon fils meurt dans je ne sais quels effroyables tourments, je jure Dieu que je vous traîne au Louvre, vous et votre complice, et je dis au roi : « Sire, voici Claude
Weitere Kostenlose Bücher