Le Fils de Pardaillan
Acquaviva, général des jésuites, qui complote votre mort. Voici son lieutenant, Parfait Goulard, qui s’évertue, dans l’ombre, à armer le bras du fanatique Ravaillac !… » Alors, vos deux têtes tombent. Ce n’est rien, car vous êtes homme de courage, je le vois. Mais c’est aussi l’anéantissement complet de l’ordre dont vous êtes le chef. Et ceci, à vos yeux, c’est tout ! Nous approchons, monsieur.
En effet, ils étaient parvenus au rez-de-chaussée. Pardaillan, avec cette prodigieuse intuition qui le favorisait, se dirigeait dans la maison comme s’il l’avait connue.
Après avoir averti Acquaviva, il n’ajouta plus un mot. Et ce qu’il avait prévu arriva. Voyant qu’il allait à la porte de sortie, Acquaviva se décida.
– Frère Goulard, dit-il de sa voix qui ne trahissait aucune émotion, conduisez-nous auprès du fils de M. de Pardaillan.
Et, en lui-même, il ajouta :
– Fasse le ciel que nous arrivions à temps, sans quoi c’en est fait de nous. Cet homme tiendra la promesse qu’il vient de faire.
C’était sans doute aussi l’opinion de Parfait Goulard, car, dès qu’il eut reçu l’ordre de son chef, il prit les devants en allongeant ses courtes jambes autant qu’il le pouvait.
Ils descendirent à la cave, le moine ouvrant des portes invisibles, et ils s’engagèrent dans un étroit couloir. Au fur et à mesure qu’ils avançaient, ils entendaient un grondement de tonnerre, des roulements formidables, des chocs effroyables qui ébranlaient les murs et, dominant le tout, des hurlements affreux qui semblaient jaillir de la gorge d’on ne savait quelle bête assommée.
Livides, la sueur de l’angoisse au front, frissonnants d’horreur, Pardaillan et les trois braves se mirent à courir, entraînant Parfait Goulard qui, d’ailleurs, se laissait faire de bonne grâce.
Enfin, le moine s’arrêta. Le vacarme était assourdissant. Les cris se faisaient plus espacés, se changeaient en râles. Le moine saisit un levier à deux mains et le rabattit de toute sa force. On entendit un fort déclic. Il sauta sur un gros bouton et tira dessus. Le mur s’écarta, glissant sur des charnières invisibles. Une large baie, doucement éclairée, se montra.
Pardaillan et les trois bondirent.
Jehan le Brave était là, courant comme un fou sur une sorte de plateau immobile maintenant, et une énorme masse de fer, une boule monstrueuse, mue par quelque force mystérieuse, roulait avec fracas, bondissait, menaçant à chaque instant de l’écraser.
Jehan ne vit pas les visages angoissés qui se penchaient vers lui, il n’entendit pas les voix amies qui l’appelaient, il courait toujours, un souffle rauque aux lèvres, trébuchant, haletant. Il ne voyait et n’entendait que la boule diabolique. Il fuyait éperdument devant elle. Il tournait sur le plateau, il ne semblait pas s’être aperçu qu’il s’était arrêté.
Il tournait et il passa à portée de ceux qui le guettaient anxieusement. Quatre bras robustes le happèrent au passage, l’enlevèrent, l’emportèrent, sans connaissance.
Et l’infernale boule, par la force de rotation acquise, continua de rouler, de sauter, comme si elle avait réclamé la proie qu’on venait de lui arracher. Puis, fatiguée sans doute elle aussi, elle ralentit son mouvement, sautilla de godet en godet et finit par s’incruster dans un, où elle demeura immobile.
L’évanouissement de Jehan fut court. Un peu d’eau aux tempes, quelques gouttes d’un cordial versé par Acquaviva lui-même suffirent à le rappeler à lui.
Peut-être aussi que la pensée du danger couru par Bertille, la seule qui fût demeurée lucide dans son esprit, qui l’avait soutenu, lui avait donné la force de soutenir l’épouvantable lutte, peut-être que cette pensée toujours vivante et tenace fit plus que les soins qui lui furent prodigués.
Quoi qu’il en soit, il ouvrit des yeux encore troubles et vagues et poussa un soupir.
Acquaviva prononça aussitôt :
– Il est sauvé !
Pardaillan comprit tout ce que sous-entendaient ces mots. Il inclina gravement la tête et dit :
– Je ne veux me souvenir que d’une chose, monsieur, c’est que vous n’êtes pour rien dans l’abominable supplice infligé à cet enfant. Allez, monsieur, je vous fais grâce.
Et il ajouta avec une intonation grosse de menaces :
– Croyez-moi, il est inutile de vous obstiner plus longtemps à chercher à le dépouiller de son bien. Vous ne
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