Le Fils de Pardaillan
voulait !…
– Je sais, Escargasse.
– Alors, tripes du pape ! pourquoi serait-ce sur la donzelle de notre Jehan que le seigneur Concini aurait jeté les yeux ? Pourquoi celle-là précisément et non une autre ? Outre ! ce serait un hasard tellement extraordinaire que, pour ma part, je ne peux y croire.
– C’est bien ce que je me dis aussi !… N’importe, je serais plus tranquille si on avait pu l’avertir.
– Puisqu’il n’a pas voulu nous écouter !…
– Au diable, après tout !… Nous verrons bien !…
– Avez-vous entendu notre Jehan ? Une fille de roi, qu’il a dit.
– Tête et ventre ! nous l’avons bien entendu ! Nous ne sommes pas plus sourds que toi.
– Peste ! il n’a pas peur de porter ses visées trop haut, notre Jehan !
– Que veux-tu insinuer par là, ribaud, mauvais garçon, bélître ?
– Je veux…
– Une fille de roi, ce n’est pas trop pour messire Jehan ! Le premier qui ose prétendre le contraire, je l’étripe, je lui arrache le cœur et le donne à manger aux pourceaux !
L’inévitable querelle allait éclater sans rime ni raison. Heureusement, ils revenaient dans la rue de l’Arbre-Sec, qu’ils avaient ordre de surveiller. Ce n’était plus le moment de plaisanter ni surtout de faire du tapage, et ils avaient cette honnêteté professionnelle qui consiste à accomplir consciencieusement la besogne payée.
En conséquence, les choses n’allèrent pas plus loin. Instantanément, ils se turent et furent tout à leur affaire.
Rapidement, glissant comme des ombres, ils explorèrent la rue d’un œil expert. Ils visitèrent de même le cul-de-sac Courbâton et s’arrêtèrent un bref instant devant la maison de Bertille.
L’impasse comme la rue avaient repris leur aspect paisible accoutumé. Tout paraissait tranquille, profondément endormi. Ils filèrent vers la rue Saint-Honoré et pénétrèrent dans la maison de Concini. Ils furent immédiatement introduits dans un cabinet de dimensions moyennes luxueusement meublé, et ils se trouvèrent en présence d’un homme, jeune, lequel, pour tromper son impatience, arpentait la pièce d’un pas nerveux.
*
* *
En sortant du petit retrait de la reine, Léonora Galigaï trouva son époux Concino Concini, qui attendait qu’on l’introduisît près de Marie de Médicis.
Concini était de taille moyenne, bien proportionnée. Il avait l’allure souple, dégagée, féline. Le front haut, les pommettes saillantes, la lèvre pourpre sous la moustache noire retroussée. Comme sa femme, ce qu’il avait de plus remarquable, c’était ses yeux : des yeux de braise, tour à tour fulgurants et doux, d’une douceur enveloppante, câline. La physionomie, extraordinairement mobile, prenait instantanément le masque qui lui convenait. L’orgueil éclatait dans sa manière de porter haut la tête, dans ses attitudes, dans ses gestes. Sous son costume d’une richesse inouïe, il était magnifique, réellement beau, d’une élégance suprême.
En le voyant, les yeux de Léonora prirent une expression de tendresse ardente et pendant tout le temps qu’il mit à traverser la vaste antichambre, elle le couva d’un long regard, toute vibrante de passion.
Lui, avait à peine jeté sur elle un regard distrait, et il s’approchait tortillant sa moustache d’un air préoccupé, dissimulant à peine une froide indifférence sous une politesse de parade.
Il s’inclina galamment devant elle, comme il eût fait devant une étrangère et, à voix basse :
– Léonora, dit-il, le jeune homme est arrivé au logis. Suivant la recommandation que vous m’avez faite, j’ai évité de me rencontrer avec lui et c’est moi qu’il attend…
Le sein de Léonora se souleva imperceptiblement, une rapide titillation des paupières, un soupir à peine ébauché trahirent seuls son émotion. Sa voix demeura très calme pour répondre :
– J’avais des raisons sérieuses pour qu’il en fût ainsi,
Concino mio.
–
Dites-moi, comptez-vous me le garder longtemps ce
bravo ?
J’avais justement besoin de lui aujourd’hui, moi.
Avec une froideur sinistre, accentuée par un sourire acéré, en appuyant ses paroles par un coup d’œil significatif, elle dit :
– Je crains fort que vous ne soyez obligé de vous passer désormais de ses services. Si vous ne le voyez pas demain, il est à présumer que vous ne le reverrez jamais plus ! Vous serez débarrassé de ce
bravo
dont l’insolent
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