Le Fils de Pardaillan
rois, ses prédécesseurs, que j’ai connus. C’est un peu pour cela que j’ai fait pour lui ce que je n’aurais pas fait pour d’autres.
Jehan le Brave écoutait avec une attention soutenue, et de temps en temps, il approuvait d’un signe de tête. Pardaillan demeura un moment rêveur, puis s’arrachant à ses pensées :
– Qu’eussiez-vous fait, voyons, si le roi avait voulu nous faire saisir ? dit-il, en fixant son œil clair sur son jeune compagnon.
Sans répondre, Jehan leva la main et commanda d’une voix forte :
– Ici, vous autres !
A cet appel, Gringaille, Escargasse et Carcagne surgirent de l’ombre. Ils vinrent se camper devant leur chef, et, la tête haute, le poing sur le pommeau de la rapière, talons joints, ils demeurèrent raides, impassibles. Seulement leurs yeux fixés sur les yeux du chef exprimaient une admiration profonde, un attachement sans bornes.
– Eh bien ? interrogea Jehan, après avoir laissé à Pardaillan le temps de les examiner.
Le chevalier traduisit son impression par un léger sifflement. Il faut croire que la réponse était suffisamment claire, car les trois braves se rengorgèrent. Leur jeune chef, après les avoir caressés un instant du regard, leur fit signe qu’ils pouvaient quitter leur attitude de parade et d’une voix grave :
– Le roi m’est sacré, maintenant… vous savez pourquoi. Et, avec une intonation rude, mordante, il ajouta :
– Mais si je m’interdis de rien entreprendre contre lui, il ne s’ensuit pas que je me laisserai égorger sans me défendre. Non, ventre-veau !… Si l’on avait tenté de m’arrêter, avec l’aide de ceux-ci j’aurais chargé !… Je vous réponds qu’on ne nous aurait pas eus vivants.
– Oui, fit Pardaillan en hochant la tête, j’avais deviné votre intention, dès le moment où ces hommes se sont lancés sur notre piste. Et je confesse qu’à votre place j’eusse fait comme vous.
Et se tournant vers les trois braves qui écoutaient sans trop comprendre, il ajouta en les fixant :
– Savez-vous qui était le compagnon qui nous a quittés pour entrer au Louvre et contre lequel vous auriez dû charger ?… Non… Eh bien, c’était le roi. A présent que vous le savez, obéiriez-vous, sans hésitation, à votre chef ?
Jehan devina dans quelle intention le chevalier posait cette question. Il croisa ses bras sur sa large poitrine, fit un pas en arrière et attendit la réponse en souriant avec confiance.
Les trois se regardèrent effarés. Non de la question, mais d’apprendre que leur chef se promenait familièrement avec le roi. Cependant, comme il fallait répondre, ils se concertèrent du coin de l’œil et Gringaille prit la parole :
– Il y a quelques années, je fus arrêté. Ma mère et ma petite sœur étaient à ce moment malades d’une mauvaise fièvre. Il faut vous dire que, bien que je ne sois qu’un homme de sac et de corde, j’adore ma mère et ma sœur dont j’étais le soutien. Mon arrestation tombait bien mal et je me mangeais les sangs de me voir en prison quand elles avaient tant besoin de moi. Le mal était contagieux et personne ne voulait approcher les deux malades. Je pensais bien les trouver mortes toutes les deux à ma sortie de prison. Eh bien, monsieur, ce que personne ne voulait faire, messire Jehan le fit, lui. Il soigna les deux malades, mieux que je n’aurais pu le faire. Et je vous réponds qu’elles n’ont manqué de rien. La pauvre veille mourut… Il la fit enterrer chrétiennement de ses deniers. Mais ma sœur fut sauvée. A telles enseignes qu’elle est aujourd’hui la plus jolie fille qui se puisse voir. Si bien qu’on ne l’appelle pas autrement que Perrette la jolie… Nous pourrions vous citer dix traits du même genre… C’est pour vous dire, monsieur, que si Jehan l’ordonnait, nous chargerions Dieu lui-même… et sans hésiter.
– Animal ! bougonna Jehan furieux, qu’avais-tu besoin d’assommer M. le chevalier avec tes sottes histoires !
– Ne le grondez pas, intervint doucement Pardaillan : il a très bien parlé, à sa manière. En tout cas, ce qu’il a dit m’a intéressé et m’a pleinement convaincu… Et maintenant, puis-je vous demander, sans être indiscret, ce que vous comptez faire ?
Jehan le Brave hésita et froidement résolu :
– Avec l’aide de ces braves, je compte foncer tête baissée dans la mêlée. Je me frayerai mon chemin coûte que coûte… Il faut que je monte
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