Le Fils de Pardaillan
heures… Nous jouons nos têtes, Concino… Ne l’oublie pas !
Avec une docilité et une douceur inaccoutumées, il assura :
– Je ne bougerai pas du logis, de toute la nuit… je te le promets, Léonora.
Elle tressaillit. Elle sentit une bouffée de sang aviver le rouge qui fardait ses joues. En elle-même, elle songea, désespérée :
– Il ira… Il ira, mais pas avant minuit… J’ai le temps !… Et d’une voix qui tremblait un peu, elle dit doucement :
– Va, Concino… Ne la fais pas attendre plus longtemps.
Cette fois, une ride imperceptible passa comme une ombre fugitive sur le front de Concini. Sa main, qui caressait sa moustache d’un geste machinal, retomba mollement ; une légère contraction de la bouche marqua sa contrariété. Ce fut d’ailleurs extrêmement rapide, insaisissable… pour tout autre que la femme jalouse qui l’épiait ardemment. Comédien consommé, il prit à l’instant le masque de la passion. Et pirouettant sur ses talons avec une grâce juvénile, après un geste d’adieu à sa compagne, il s’éloigna en fredonnant une chanson d’amour d’un air conquérant, le teint animé, l’œil noyé de langueur, vif, léger, merveilleusement jeune et débordant d’impatience amoureuse.
Léonora le suivit d’un long regard chargé de passion – bien sincère, celle-là, – et, maintenant qu’il n’était plus là pour le voir, elle montrait un visage ravagé par la douleur et les affres de la jalousie.
Quand la porte du petit retrait se fut fermée sur Concini, elle parut se réveiller. Elle secoua la tête d’un air sombre et reprenant, elle aussi, son masque d’indifférence, elle partit d’un pas ferme. Mais, sous son calme apparent, elle sanglotait dans son esprit révolté :
– Concino est amoureux !… Et je ne m’en étais pas aperçue !… Je n’ai rien vu, rien remarqué !… Ai-je donc été aveugle ? Se peut-il qu’il m’ait jouée à ce point, moi ?… Mais non, je m’affole… je le connais bien, voyons !… Ceci, c’est certain, est tout récent !… Caprice ou passion ? Qui peut savoir avec une nature ardente comme la sienne. En tout cas, caprice ou passion, ceci peut être mortel… ceci est à enrayer coûte que coûte. N’est-ce pas une malédiction que Concino aille s’amouracher sottement à l’heure précisément où Maria va se trouver libre, à l’heure où, régente, elle sera la maîtresse absolue de ce magnifique royaume !… à l’heure, par conséquent, où nous avons besoin d’être entièrement à elle, pour la diriger dans des voies… propices à nos intérêts !… Et elle ? Qui est-ce ?… Qui ?… Pas une femme de la cour assurément, j’aurais déjà éventé l’intrigue ! Alors, qui ?… Oh ! celle-là, malheur ! malheur à elle !…
Cristo santo !
il m’en coûte déjà trop de supporter Maria, je n’en tolérerai pas une autre !… Ce soir,
Concinetto mio,
va la voir, va !… Demain je saurai qui elle est, comment elle s’appelle, où elle demeure… et alors, nous réglerons nos comptes !
Laissons la Galigaï s’acheminer vers son logis et lancer Jehan le Brave sur Henri IV. On a vu, d’autre part, que si elle avait admirablement réussi à surexciter la fureur jalouse du jeune homme, elle avait lamentablement échoué dans la partie la plus essentielle du plan machiavélique qu’elle avait conçu : le meurtre du roi ! Il est vrai qu’il n’avait tenu qu’à un geste accompli à temps par le chevalier de Pardaillan. Mais il n’en faut pas plus pour renverser les combinaisons les mieux échafaudées.
Laissons-la prendre ses dispositions pour découvrir la passion récente de son époux, laissons-la machiner des plans de vengeance atroce contre cette rivale inconnue, qui surgissait malencontreusement à une heure si critique, et revenons à Concini.
Il comprenait très bien combien la situation était tragique et que le moindre faux pas de sa part entraînerait inévitablement la mort dans les plus effroyables tortures.
Il comprenait que tant que l’irréparable, c’est-à-dire la mort du roi, ne serait pas accompli, tant que cet irréparable ne serait pas officiellement liquidé par l’arrestation, le jugement, la condamnation et l’exécution du meurtrier, c’est-à-dire celui qui avait assumé la terrible responsabilité du geste visible, sa tête, à lui Concini qui avait armé le bras du meurtrier, ne tiendrait qu’à un fil.
Il comprenait enfin
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