Le Fils de Pardaillan
des gardes, ni celui des archers. Elles avaient tournure de gentilshommes. De plus, ces gentilshommes étaient en nombre égal au leur… chacun son homme. Ils avaient résolu de tomber à l’improviste sur les trois bavards nocturnes et de leur infliger une solide correction à seule fin de leur apprendre à ne pas troubler le sommeil des honnêtes bourgeois endormis.
En agissant ainsi, ils rentraient dans leur mission, passablement négligée jusque-là. Ils rendaient service à leur maître qui saurait la reconnaître par quelque largesse… ils l’espéraient du moins. Sans compter que les trois bavards avaient toute l’apparence de gens dont la bourse est convenablement garnie et qu’ils n’iraient pas, après les avoir mis à mal, faire la sottise de laisser sur eux bijoux et argent et autres bagatelles susceptibles d’exciter la cupidité de messieurs les tire-laine, détrousseurs de nuit et autres gens de sac et de corde.
On a vu que l’intervention de Jehan le Brave avait réduit à néant cet honnête projet.
En les voyant entrer, Concini avait poussé un soupir de soulagement. Enfin, il allait savoir ! Il arrêta net sa promenade et vint se placer debout devant une grande table encombrée de paperasses, qui lui servait de bureau.
Les trois braves vinrent s’arrêter au bord de la table, devant lui, et ensemble ils se courbèrent dans une pose de respect outré, quelque peu ironique.
Concini les fouilla de son œil fulgurant, comme s’il avait voulu déchiffrer tout de suite sur leurs physionomies rusées les nouvelles qu’ils apportaient. Et la voix rude, l’air courroucé :
– Ah ! ça ! drôles, gronda-t-il, savez-vous que voilà une heure, bientôt, que je me morfonds à vous attendre !
– Ah ! péchère, monseigneur, fit Escargasse, hypocritement apitoyé, nous nous en sommes fait du mauvais sang, allez ! C’est bien ce que nous disions : ce pauvre monseigneur qui se morfond à nous attendre !… Pas vrai, Gringaille, que nous nous le sommes dit ?… Mais voilà, il n’y avait pas moyen de passer… Nous avons bien cru un moment que nous ne pourrions jamais arriver jusqu’à vous.
De ce flux de paroles inutiles, Concini n’avait retenu que ces mots : il n’y avait pas moyen de passer. En les entendant, il n’avait pu réprimer un léger tressaillement. Et dans son esprit délirant de joie, il rugit :
– C’est fait ! En effet, si ses hommes n’avaient pu passer, c’est qu’un événement considérable s’était produit. Et quel autre événement que celui préparé par Léonora ? Mais le roi était-il mort ou simplement blessé ? Il fallait maintenant arracher adroitement la vérité à ces brutes sans leur laisser soupçonner qu’il savait d’avance sinon le détail du moins le principal de ce qu’ils étaient censés lui apprendre. Pour un comédien de sa force, ce n’était là qu’un jeu.
D’un air las, il tira un fauteuil à lui, se laissa tomber nonchalamment, croisa la jambe, prit un petit poignard qui traînait sur la table, se mit à jouer machinalement avec et d’un air d’indifférence admirablement joué, d’une voix qui se fit sèche, tranchante :
– Notez bien ceci : dès maintenant vous ne faites plus partie de ma maison… si les explications que vous allez me donner ne me satisfont pas. Et maintenant, j’écoute. Que vous est-il donc arrivé de si extraordinaire ?
La menace leur produisit l’effet d’un coup de trique sur la nuque. Ils plièrent les épaules et se regardèrent consternés. Au demeurant, la place était bonne, la besogne pas pénible, le maître généreux, c’était une place de cocagne comme ils n’en retrouveraient jamais. Escargasse, qui avait assumé la responsabilité des explications à fournir, se raidit et :
– Extraordinaire ! monseigneur, vous avez dit le mot. Ce qui nous a retenus est extraordinaire ; mieux, monseigneur, effrayant, terrible, épouvantable… On en parlera longtemps à la ville et à la cour.
Avez-vous remarqué, lecteur, que le menteur qui improvise une fable a absolument besoin d’être aidé pour venir à bout d’étayer son mensonge d’une manière plausible ? Ecoutez-le froidement, sans un mot, sans la plus petite interruption, il pataugera lamentablement. Il n’arrivera pas à persuader le plus naïf, le plus crédule des auditeurs.
Si, au contraire, vous discutez avec lui, si vous vous animez, si vous parlez, si vous posez des questions, vous lui
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