Le Fils de Pardaillan
arranger cela à une de ces sauces que le diable lui-même ne pourrait démêler de quels ingrédients elle se compose. »
Et prenant une mine lugubre, jetant autour de lui des regards inquiets, avec un tremblement dans la voix, toutes les apparences d’une douleur profonde et sincère :
– Monseigneur, dit-il, nous ne pouvions pas très bien voir… je vous l’ai dit. Cependant je pense comme vous : c’était un grand… un illustre personnage. Quelqu’un placé haut, très haut… plus haut encore…
– Bon ! songea Concini, on ne peut pas être plus clair. Je pensais bien que les drôles en savaient plus qu’ils n’en disaient.
Et tout haut, prenant lui aussi une mine de circonstance :
– Peste !… Qui te fait supposer ?
– Pour les raisons que vous avez données vous-même, d’abord. Ensuite parce que pour loger au Louvre il faut être, je pense, un grand personnage.
– La victime logeait donc au Louvre ?
– Il faut croire, puisque on a donné l’ordre d’y transporter le corps. Ce n’est pas tout. Quelqu’un a dit sur un ton qui nous a fait passer le frisson de la petite mort dans le dos : « Silence sur tout ceci. Celui qui ne saura pas garder sa langue court le risque d’être roué vif ». Vous comprenez que pour nous décider à parler, il a fallu l’insistance de monseigneur. La perspective d’être roués vifs ne nous sourit guère.
– Soyez tranquilles, assura Concini, nul ne saura. Et d’ailleurs, je vous couvre.
En lui-même, il songeait :
« Allons, le doute n’est plus possible. Il s’agit bien du roi dont on veut garder la mort secrète jusqu’à ce qu’on ait pris les mesures que comporte la situation. Maria elle-même ignore encore l’événement à l’heure actuelle. Sans quoi elle m’eût envoyé chercher. Demain matin, sans doute, on lui apprendra la triste nouvelle avec tous les ménagements d’usage. Je serai là. Jusque-là, je puis disposer de mon temps et de ma personne à mon gré. »
Escargasse, de son côté, se disait :
« Cherche maintenant quel est le personnage qu’on a transporté cette nuit au Louvre. Si tu trouves, c’est qu’il existe réellement, et alors, outre ! je serai bien étonné. Si tu ne trouves pas, c’est qu’apparemment, nul ne se soucie d’être roué vif. Et à présent, j’espère que c’en est fini de cet interrogatoire assommant. »
Escargasse se trompait, il n’en avait pas encore fini. Brusquement, Concini s’exclama :
– Et lui ?
– Qui, lui ? sursauta Escargasse.
– Eh mais !… l’assassin !
– L’assassin ? s’étrangla Escargasse. Oh ! diable ! l’assassin !… où avais-je la tête ?… L’assassin, pauvre bougre, son compte est bon, à celui-là !
– Ne l’a-t-on pas arrêté ? s’inquiéta Concini.
– Je comprends !… Arrêté, enchaîné, enfermé, promptement, sûrement, proprement, je vous en réponds.
Concini se rasséréna. Mais, alors, il s’étonna : au fait, l’assassin, ils le connaissaient bien, puisqu’il était leur chef direct ! D’où venait l’indifférence qu’ils manifestaient à son égard ? Ne l’avaient-ils pas vu et reconnu ? Ou bien, jaloux, se réjouissaient-ils de son sort ? La question n’avait pas grande importance. Il était curieux de l’élucider pourtant, attendu qu’il est utile de connaître le caractère et les sentiments de ceux qu’on emploie.
– Vous l’avez vu, l’assassin ? demanda-t-il en les fixant attentivement.
– Vaguement, pendant qu’on l’emportait… Dans l’état où on l’avait mis, il eût été bien empêché de marcher.
– Ah ! fit Concini avec une satisfaction féroce, on l’a quelque peu maltraité ?
– Maltraité ! péchère !… C’est-à-dire qu’on l’a déchiré, assommé, roué de coups… Ce n’était plus une créature humaine, c’était une loque sanglante.
Cette fois, Concini était fixé. Il ne posa plus de questions. Il demeura un moment silencieux, tourmentant d’un geste machinal le manche du mignon petit poignard avec lequel il n’avait cessé de jouer, réfléchissant profondément, sans que son visage impassible décelât la nature de ses réflexions.
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Chapitre 12
C oncini sortit enfin de sa longue méditation. Un vaste soupir qu’il n’eut pas la force de refouler fut la seule manifestation par quoi se révéla la joie puissante qui l’étreignait. Il fixa un instant ses hommes, qui attendaient son bon
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