Le Fils de Pardaillan
sur toi ! Malheur sur lui !…
– Il ne vous craint pas… Il ne craint personne au monde… Il est toute la vaillance, toute la bravoure… Ce n’est pas sans raison qu’on l’appelle le Brave !
Concini bondit :
– Tu dis ? bégaya-t-il, répète !… Tu dis qu’il s’appelle le Brave ?… Jehan le Brave, n’est-ce pas ?…
Elle se sentit mordue au cœur par un affreux pressentiment. Néanmoins, elle répondit fièrement :
– Jehan le Brave, oui. C’est son nom.
Concini partit d’un éclat de rire terrible qui la fit frissonner :
– Ah ! par Dieu ! l’aventure est plaisante. (Et il pouffait.) La maîtresse de Jehan le Brave !… Voici qui est merveilleux, par exemple !… Or çà, la belle, ce gentilhomme accompli, ce parfait modèle de chevalerie, savez-vous ce qu’il est ? Un truand !… un détrousseur de grandes routes !… un assassin à gages !… Voilà ce qu’il est, ce superbe héros !
Sans hésitation, elle cingla :
– Vous mentez !…
Il sacra, piqué au vif :
–
Sangue della madonna !…
Il se remit aussitôt et, dans un sourire railleur, avec une impudence, cynique si elle n’eût été inconsciente :
– Voyons, j’en parle en connaissance de cause… puisqu’il est à mon service !…
– En ce cas, il ne serait que le serviteur obéissant aux ordres de son maître. L’infamie de la besogne retombe sur vous, qui la commandez et la payez. Le véritable assassin, c’est vous et non lui !… Mais, même cela, je ne l’admets pas. Vous mentez, vous dis-je !
Cette inébranlable confiance exaspéra Concini. Le démenti outrageant que, par deux fois, elle lui avait jeté à la face n’avait aucune importance à ses yeux, mais son instinct lui disait que le moyen le plus sûr d’humilier profondément la hautaine jeune fille, de la frapper douloureusement, était de la convaincre de l’indignité de son amant. C’est ce moyen qu’il cherchait, puisqu’elle refusait de le croire. Et, soudain, il se frappa le front. Il avait trouvé. Il grommela, assez haut pour qu’elle entendît :
– Pardieu ! la parole d’un gentilhomme n’a pas de valeur pour la maîtresse d’un truand… Ce qu’il faut, c’est le témoignage de sacripants de la même espèce que son amant. Soit.
Et saisissant un petit sifflet suspendu à son cou, il en tira trois appels stridents.
Au bout de quelques minutes, Carcagne, Escargasse et Gringaille firent leur entrée et se tinrent raides sur une ligne, à deux pas de la porte.
Sans se retourner, sans les regarder, il interrogea de sa voix brève, rude :
– Comment s’appelle votre chef ? Ebahis, les trois se regardèrent, hésitants.
– Monseigneur, fit l’un, nous ne…
– Pas de phrases ! interrompit violemment Concini. Un nom, c’est tout ce que je vous demande. Comment s’appelle votre chef ? Répondez !
– Jehan le Brave.
– Bien. Que fait-il à mon service ?
– Outre… Il fait… Il fait la même besogne que nous, qué !
Concini avait constamment tenu ses yeux fixés sur Bertille. Il fit un geste qui commandait aux trois braves de se retirer, et sans se retourner, sûr d’être obéi, il fit deux pas dans la direction de la jeune fille, croisa ses bras sur sa poitrine, et :
– Eh bien ! Vous avez entendu ? Vous avez reconnu ces trois sacripants ? Ce sont ceux-là mêmes qui vous ont saisie et amenée ici. Voilà leur besogne. Ceci, je pense, me dispense de plus amples explications. Etes-vous convaincue, maintenant ?
Avec un entêtement farouche, elle dit : « Non ! » Seulement, elle était devenue un peu plus pâle.
– Tu ne crois pas ? écuma Concini. Et si tu vois…
– Je dirai que mes yeux ont mal vu… Je ne croirai pas davantage, interrompit-elle avec la même obstination.
– Si tu vois, continua implacablement Concini, ton Jehan le Brave traîné sur une claie jusqu’à la place de Grève, si tu vois le bourreau tenailler sa poitrine, arroser les plaies saignantes de plomb fondu et d’huile bouillante, si tu vois ses membres tirés à quatre chevaux, si tu vois la foule indignée se ruer sur ces restes informes, les déchirer à petits morceaux et les donner en pâture aux pourceaux, si tu vois cela, croiras-tu ?…
Elle ferma les yeux, comme pour se soustraire à l’horrible vision. Mais, vaillante jusqu’au bout, elle les rouvrit aussitôt et nargua :
– Je sais que, par des manœuvres viles, on peut faire condamner un
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