Le Fils de Pardaillan
air le plus ébahi. Et c’est pour me dire cela que vous venez me tirer du lit à trois heures du matin ?… Corbleu ! mon jeune ami, savez-vous bien que je suis homme à ne vous pardonner jamais un crime pareil !… car c’est un crime que d’empêcher de dormir quelqu’un qui enrage de sommeil !
Jehan ne put s’empêcher de rire du ton sur lequel elles avaient été prononcées, plus que des paroles elles-mêmes.
– Allons, dit Pardaillan sérieusement, videz votre sac et me dites en quoi je puis être utile à celle que vous aimez.
– Comment, vous savez ?… s’exclama Jehan stupéfait. Pardaillan haussa les épaules :
– Croyez-vous qu’il est besoin d’une dose de pénétration extraordinaire pour le deviner ? fit-il de son air narquois. Etes-vous homme à venir me réveiller au milieu de la nuit pour votre service personnel ?… Non, n’est-ce pas ?… Alors ?…
– C’est encore une leçon que vous me donnez là !… Ah ! monsieur, si j’avais eu un maître tel que vous !… Mais vous avez raison. Je perds un temps précieux.
Et le jeune homme fit un récit bref de la manière dont il avait délivré celle qu’il aimait et de l’embarras dans lequel il se trouvait, ajoutant pour terminer, avec un accent de mélancolie poignante :
– Je ne connais que truands et ribaudes… Que voulez-vous, je ne sais si j’y suis né, mais, en tout cas, j’ai grandi et vécu dans ce milieu, et mon propre père lui-même… Bref, je ne pouvais, sans rougir, conduire cette enfant si pure chez les personnes de ma connaissance… Encore moins pouvais-je la conduire chez moi. Alors, je me suis souvenu des offres obligeantes que vous me fîtes, au moment où je vous quittais à la porte de cette hôtellerie. J’ai pensé qu’un homme tel que vous, monsieur, trouverait facilement, dans ses hautes relations, une retraite honorable où celle que j’aime, en attendant qu’elle ait pris une décision, serait à l’abri de toute tentative criminelle, où nul ne pourrait l’approcher… pas plus moi que d’autres.
– En sorte que, fit Pardaillan qui avait écouté attentivement, en sorte que vous vous interdisez volontairement de voir celle que vous aimez ?
– Oui, monsieur. C’est pénible, mais il me semble qu’il vaut mieux qu’il en soit ainsi… A moins qu’elle n’ait besoin de moi, à moins qu’elle ne me fasse appeler.
Et avec une inquiétude qui trahissait l’extraordinaire confiance que lui inspirait cet homme qu’il ne connaissait pas la vieille, et aussi l’importance qu’il attachait à ses avis :
– Ne pensez-vous pas comme moi, monsieur ?
– Si, mon enfant, dit Pardaillan avec douceur, je pense tout à fait comme vous.
Et en lui-même il ajoutait : « Allons, je l’avais bien jugé. C’est une belle nature. Un roué n’eût pas manqué de mettre à profit une aussi favorable occasion ; lui n’y a même pas pensé. »
Il ceignit son épée et dit simplement :
– Venez.
Dès qu’elle les vit entrer dans le cabinet, Bertille se leva. Elle reconnut immédiatement en Pardaillan ce cavalier aperçu sur son perron en une circonstance inoubliable. C’était un inconnu dont elle ignorait même le nom. (Le roi l’avait bien nommé à diverses reprises devant elle, mais elle était si émue, si agitée qu’elle n’y avait pas pris garde). Lorsqu’elle le reconnut, ses yeux brillèrent de plaisir. Elle fit vivement deux pas à sa rencontre et, spontanément, comme poussée par une force irrésistible, elle s’inclina devant lui et lui tendit chastement le front, dans un geste adorable en sa grâce juvénile. Et elle murmura dans un souffle harmonieux :
– Du fond du cœur, monsieur, soyez remercié !… Soyez béni, vous qui, suivant si noblement les traces des paladins de l’antique chevalerie, trop oubliés, hélas ! allez, mettant au service du faible contre le fort l’appui de votre vaillante épée.
Dans sa longue carrière, Pardaillan avait reçu quelques compliments tombés de la bouche de personnages autrement considérables et plus compétents que cette toute jeune fille. Et il n’en avait pas été autrement touché. Mais cet hommage naïf et le geste filial qui l’accompagnait l’émurent doucement. Et pour cacher cette émotion, il se pencha, effleura du bout des lèvres les fins cheveux d’or et, avec un sourire narquois, il gouailla :
– Peste ! ma chère enfant, comme vous y allez !… Si, pour être
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