Le Fils de Pardaillan
air plutôt maussade, dans un petit cabinet, dont la porte vitrée donnait sur la grande salle.
Jehan prit, sans compter, une poignée de pistoles et la mit dans la main de la servante, qui retrouva incontinent son sourire le plus empressé et plongea dans sa plus gracieuse révérence.
– Ma fille, dit-il, mettez-moi un fagot dans cette cheminée et faites-nous une bonne flambée.
Et pendant que la servante, qui semblait avoir des ailes, s’activait, il expliquait doucement à Bertille :
– Je vais vous quitter… quelques minutes seulement. Reposez-vous un peu et ne craignez rien. Ces trois-là veilleront sur vous pendant ma courte absence.
– Je ne crains plus rien, dit-elle avec calme.
Jehan, après s’être incliné, passa dans la grande salle avec Escargasse, Carcagne et Gringaille.
– Vous autres, dit-il, ne bougez pas d’ici et que nul, hormis la fille de service que vous avez vue, n’approche de cette porte. C’est compris ?
Trois grognements furent la réponse brève et éloquente qu’ils donnèrent. Mais ils avaient des faces longues, piteuses ; ils roulaient des yeux tout blancs, poussaient des soupirs qui ressemblaient assez à des beuglements de jeune veau réclamant le tétin de la génisse maternelle. Et ils tiraient des langues longues, longues… crachotaient péniblement, trépignaient comme si des milliers de fourmis s’étaient acharnées à leur piquer les mollets.
Cette mimique désordonnée avait, paraît-il, sa signification que Jehan comprit du premier coup, car il fronça le sourcil.
« Pauvres diables ! pensa-t-il, on ne peut cependant pas leur demander l’impossible. » (Et tout haut.) Eh bien, soit ! ivrognes, sacs à vin !… Mais je ne vous permets qu’une bouteille à chacun !
Les trognes s’épanouirent. Ils étendirent les mains en un geste solennel, comme pour dire : C’est juré !
– Et surtout, ajouta le jeune homme, veillez à vos paroles, hein !… C’est que je vous connais. Vous n’êtes pas qu’ivrognes fieffés, vous êtes encore débauchés et licencieux. N’oubliez pas que de ce cabinet on peut vous entendre. Si j’apprends que l’un de vous s’est permis la moindre inconvenance, je l’étripe.
Et sans s’occuper de leurs protestations, s’adressant à la servante :
– Veuillez me conduire, mon enfant, dit-il poliment.
A ce moment, une lumière parut au haut de l’escalier intérieur et une voix qu’il reconnut aussitôt prononça :
– Montez, montez… je vous attends.
– Ma fille, reprit Jehan, faites-moi le plaisir d’entrer dans ce cabinet et d’y tenir compagnie à la noble demoiselle qui s’y trouve, jusqu’à mon retour.
Et il gravit les marches quatre à quatre et pénétra dans la chambre du chevalier de Pardaillan, qui le précédait, sa lampe à la main.
Le chevalier, sommairement vêtu, approcha un fauteuil, prit une bouteille poudreuse et deux verres, et les remplit à ras bord. Et en même temps, il expliquait :
– J’ai entendu l’appel particulier que je vous avais indiqué. Et comme vous êtes le seul à le connaître jusqu’à maintenant, j’ai compris que c’était vous qui frappiez, et je me suis levé aussitôt, pensant qu’il n’y avait pas de temps à perdre. Pendant que j’achève de me vêtir, racontez-moi ce qui vous amène et en quoi je puis vous être utile.
Ayant dit, Pardaillan choqua son verre contre celui de son hôte, le vida d’un trait comme l’exigeait la politesse, et se mit paisiblement à sa toilette, sans hâte apparente, mais avec une célérité remarquable.
Cependant Jehan ne parlait pas. La simplicité de ces manières, la cordialité de cet accueil, l’empressement à se mettre à sa disposition, la promptitude insouciante à s’équiper avant même qu’il eût dit de quoi il s’agissait, tout cela l’étonnait et le bouleversait d’émotion.
Pardaillan qui, tout en s’habillant, ne le perdait pas de vue, remarqua cette émotion et doucement :
– Voyons, dit-il, est-ce si difficile, si délicat ce que vous avez à dire ? Jehan s’approcha et lui prit la main qu’il garda entre les deux siennes et d’une voix qui tremblait :
– Quand je pense que j’ai été assez misérable pour vous injurier, quand je pense que ce poing a osé se lever menaçant sur vous !… Je mériterais qu’on m’arrachât cette langue maudite, qu’on tranchât ce poignet scélérat !
– Ah bah ! s’exclama Pardaillan, en prenant son
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