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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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visage fermé dont les chairs molles du cou tremblaient. Blanquefort ? Un profil immobile. Et triste… Arnaud Clergue ? Mains jointes. Mais priait-il ? Autour d’eux, les appréhensions tournaient comme une meute, s’éloignaient sous l’effet de quelque agréable pensée, revenaient, poussées par une contradiction…
    Il posa son épée sur le lit, enleva son haubert. Dessous, son surcot et ses chausses étaient noirs.
    — Hugues, voulez-vous prévenir Champartel ?… Dites-lui ce que j’en attends… Qu’il s’arme à sa convenance.
    — Et moi ?
    — Vous, mon oncle, dites à Renaud et Haguenier de s’apprêter… Que tous viennent ici le plus tôt possible, vêtus de sombre, barbouillés de suie, et les armes au fourreau. La moindre lueur nous trahirait.
    Guillaume ouvrit la porte à Blanquefort. Ils s’éloignèrent.
    Ogier se laissa choir sur le lit. Le chapelain s’approcha, blême, irrésolu. D’un geste le garçon lui enjoignit le silence :
    — Partez, vous aussi, mon père… Vous ne m’êtes d’aucun secours, car voyez-vous, ce n’est ni de vous ni du soutien céleste dont j’ai besoin pour ruiner ce beffroi… C’est, hélas ! des feux de l’enfer.

III
    « Un géant ! »
    Voilà ce qu’Ogier pensait, noyé dans l’ombre de la pyramide élancée, ténébreuse, aussi haute qu’une des tours portières. S’il ne pouvait l’anéantir, ce colosse effrayant, poudré des brumes de l’aube, dégorgerait un fiel mortel sur les hauteurs de Rechignac.
    — Non, murmura-t-il pour lui-même, jamais cela ne se fera !
    Bien qu’immobile, la terrible machine dont les fagots et les ténèbres occultaient le soubassement grinçait comme une nef au mouillage. Des hommes y besognaient encore. Il entendait leurs voix.
    « Combien ? »
    Afin de le savoir, il devait s’approcher.
    Il hésita. La peur nouait à son cou un serpent de froidure. Il étouffait, armé de son désir de destruction plus encore que de Confiance. Il fallait, il devait embraser ce beffroi.
    Il repartit, cette fois aplati sur le ventre, devançant Jean et Champartel. Le trompeor portait sur son dos le tonnelet destiné à recevoir la poudre confiée au forgeron.
    « Nous y sommes donc !… Pour le moment tout va selon mes espérances. »
    Ils avaient traversé le souterrain. Sitôt hors de ces voûtes basses exsudant çà et là des sueurs calcaires, ils avaient repris haleine en s’orientant : il allait leur falloir longer le camp de Knolles et remonter la motte tout entière. « Heureusement, ils font grand frai [122] et puent tellement que leurs chiens ne nous gêneront pas », avait remarqué Escrive. Puis ils étaient partis, courant ou ventrouillant, à l’abri des rochers et des broussailles mouchetées de rosée. Ils se surveillaient les uns les autres, et s’arrêtaient parfois afin de se regrouper pour se concerter et sonder les épaisseurs noires.
    Et maintenant…
    D’une part, le château, de l’autre, le titan. Ogier accoutumé à l’ombre en distinguait les angles biseautés, les bordages abrupts, le garde-corps de la plateforme supérieure et la sambuque, ce mantelet mobile à l’abri duquel, s’il échouait, se grouperaient les premiers assaillants. Derrière lui, sur la malevoisine, une chouette ulula. Mauvais présage !
    « Un Goliath de bois à la mesure de la férocité de Canole. Un Goliath qui, touchant nos murs, vomira vingt Goddons d’un seul coup ! »
    Sous ses paupières clignotantes, ses yeux autant que son esprit se pénétraient de cette redoutable évidence : un grand monstre endormi sous un croissant de lune… Le diable métamorphosé en montagne de bois… Et quelque chose de plus pénible que la peur attrista le damoiseau : le sentiment de son insignifiance ; la conviction que son entreprise était pire qu’insensée : inutile. Mortellement inutile.
    Il s’immobilisa derrière un tas de rochers destinés sans doute à la perrière. Champartel l’y rejoignit et posa devant eux le bissac de Lordat.
    — Eh bien, messire ?…
    — Ce chas me paraît aussi haut que le clocher de Savignac.
    — C’est vrai… Si j’ai peur, ce n’est pas pour moi… J’ai peur qu’il résiste au feu.
    — J’ai crainte également pour cette raison-là.
    Champartel sourit, arracha et mordilla trois brins d’herbe.
    Il était comme fasciné, lui aussi, par cette énormité noire d’où des voix et des bruits s’échappaient. Combien d’hommes y œuvraient

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