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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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volupté… Il pensa inexplicablement à Tancrède… Non ! Non ! Il fallait que cela cesse.
    — Du côté du beffroi ? demanda-t-il, anxieux.
    — J’en viens, dit Girard en lui restituant son épée. Leur tour semble achevée. Sa sambuque [117] est rabattue. Les charpentiers n’y sont plus.
    — Et leur chaussée ?
    — Presque achevée, Blanquefort. Ils y ont laissé des hommes sans que ces pertes aient refroidi leur ardeur.
    Girard tendit son doigt vers la contrescarpe :
    — Là, dit-il. Leur Goliath.
    C’était Tranchelion, coiffé, vêtu de fer et de divers pelages. Il emboucha son énorme olifant et la longue plainte de la corne d’ivoire ondula sur les cris de haine et d’horreur.
    Aussitôt les routiers valides abandonnèrent leurs armes et refluèrent vers la contrescarpe.
    — Laissez-les, ordonna Blanquefort. Ménagez vos traits et nos réserves. Girard, viens avec moi.
    Guillaume se pencha dans l’ombre d’un merlon.
    — Viens voir, Ogier, tous ceux qu’ils ont laissés… La puanteur de ces marauds ferait fuir des putois.
    Ogier n’osa bouger. Ces survivants promis à la mort, il les entendait pleurer, râler, appeler au secours, maudire leurs bourreaux, supplier leurs compères, adjurer le Ciel de leur venir en aide ou d’abréger leur géhenne. Sans savoir où aller, les moins atteints, pleins d’espérance, devaient ventrouiller parmi les corps mutilés, hérissés de sagettes et de carreaux, les armes éparses et les débris d’échelles. Suzeraine des puanteurs, la mitte, composée des pires infections, occupait avec les victimes la douve sèche de Rechignac.
    « Sèche ? » se demanda Ogier.
    Non ! C’était une boue humaine qui souillait désormais le fond du fossé, devenu fosse commune, et ses abords. Et comme s’il en avait assez, lui aussi, de la pestilence exhalée par cette immolation stérile, le vent souffla plus fort, emportant vers le camp de Robert Knolles la senteur lourde, abominable, de son échec.
    — Il faudra, demain, laisser vivre tous ces truands à demi occis… Plus leur trépas sera long, plus ils seront plaintifs, et plus leurs compagnons hésiteront à nous surquérir encore.
    — Mon oncle, ne songez pas à demain… Une seule chose importe, à présent : leur beffroi… S’ils l’ont achevé, ils nous attaqueront à l’aube.
    Des huées fusèrent autour d’eux, puis des hurlements de joie : les derniers routiers s’enfuyaient.
    Ogier se retourna. Paysans ? Hommes d’armes ? Désormais, ils étaient indiscernables : le grand péril de mort les avait unifiés. Certains chancelaient d’émotion, de fatigue, et s’appuyaient aux merlons ; d’autres passaient leurs paumes poisseuses sur leur poitrine d’écailles ou de cuir. Gauthier Champartel vomissait dans l’angle de la tourelle.
    — Mon oncle…
    — Pourquoi ce ton de supplication ?
    — Pour vous engager à congratuler nos compères.
    Et soudain, suspendant sa marche, Guillaume pinça, au pli du coude, les mailles du haubert d’Ogier :
    — Par saint Michel, tu n’avais pas mis ton armure !
    — Non, mon oncle. Je n’y suis pas encore accoutumé.
    Guillaume eut un petit rire satisfait :
    — Tu as donc, dès ce soir, une autre qualité.
    Serait-ce un compliment ?
    — Laquelle, mon oncle ? exigea le damoiseau.
    — Hé ! Hé ! C’est même une vertu… La sagesse, mon neveu. La sagesse ! En armure, tu n’aurais pas eu le dessus contre ce truand à peau de bête.
    Il avait donc tout vu !
    — Viens, dit-il, tu as raison : il me faut regracier [118] mes vassaux !
    L’angoisse refluait aussi rapidement qu’elle était arrivée. Bruyantes, des discussions s’ébauchaient. Chacun tenait à raconter comment il avait occis son homme. Et l’on gesticulait. De grands rires éraillaient les gorges sèches, contractées. Et déjà, sans doute, les hâbleurs multipliaient le nombre de leurs victimes ; les pleutres se donnaient du courage ; les plus hardis s’esclaffaient, trouvant, eux, qu’ils n’avaient pas vu le temps passer. Quelques-uns piétinaient la sève écarlate de leurs compagnons étendus roides, çà et là, éclaboussant les heuses, les sandales, les pieds nus de leurs voisins.
    — Au lieu de vous rigoler, compères, tonna Guillaume, songez qu’ils vont nous amener leur beffroi.
    — Il est prêt, dit Blanquefort. Je viens de là-bas… Leur chaussée me paraît quasiment plane… Leur tour roulera dessus presque aussi

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