Le granit et le feu
toi, Renaud, il vous faut occire ces vegilles [125] . Ensuite, vous resterez près des bestiaux, prêts à couper leurs liens… Quand les gens de Knolles, alertés, commenceront à monter, vous lâcherez ces bêtes… Attendez qu’ils soient bien proches.
— Nous le ferons, dit le Tolédan. Venez, Renaud.
Longeant les fagots, ils disparurent.
— Le reste me paraît simple, continua Ogier. Il y a trois charpentiers d’un côté, deux autres un peu plus loin… Comme ils n’ont pas prévu notre venue, leur stupeur nous avantagera. Jean et moi affronterons ces trois drôles. Cela te convient, Jean ?
— Ça me va !
— Roudouleux et Trélissac, les deux autres.
— Soit, Ogier, dit Haguenier. Ensuite, nous viendrons t’aider.
— Et moi, dit Escrive.
Sous le bord de son aumusse de cuir noir, ses yeux riboulaient de colère.
— Rassure-toi : tu n’as pas la moindre des tâches… Tandis que Champartel courra placer son tonneau sous l’engin…
— Il est prêt et fermé, annonça le forgeron… Il ne reste pas un grain de poudre.
— Bien… Donc, Escrive, tandis que Champartel fera rouler son tonneau sous l’engin, tu apporteras de ces fagots derrière lesquels nous sommes… Il te faudra, compère, accomplir maintes courses. Champartel t’aidera… puis nous tous… Servez-vous d’une de leurs torches. Avec le soleil qu’il a fait ces temps-ci, ces branches doivent être sèches… Nous essaierons de rompre les essieux à coups de hache… si le feu nous en laisse le temps.
— Est-ce tout, messire ? demanda Champartel.
— C’est tout, compagnons… Il ne me reste plus rien à vous dire, sinon à toi, Thierry, de ne pas trop t’attarder pour aller placer une échelle devant la poterne. Nous sommes peu, trop peu, mais Dieu nous aide !… Dégainons !… À nous revoir tous !
Ils bondirent, et leur silence, la promptitude avec laquelle ils couraient au beffroi étonnèrent Ogier. La surprise fut telle qu’il estoqua un des trois charpentiers avant qu’il ait pu pousser un cri ; Jean, d’un coup de taille, égorgea le second ; mais le troisième hurla en agitant sa torche :
— À l’arme ! À l’arme !
Son appel s’acheva en une plainte brève : Jean avait récidivé.
— Je vais aux fagots, dit-il.
Plus loin, Roudouleux et Haguenier s’employaient à tuer les deux autres Gascons ; del Valle et Renaud affrontaient les guetteurs. Champartel avait dû pousser son tonneau sous l’engin : Escrive apportait des fagots. Et maintenant, Jean l’aidait. Des fumées montaient : le feu ! Pourvu qu’il devînt immense !
« Ces gardes sont corias ! Et les deux autres aussi… Ah ! voilà que Pedro vient d’estoquer son homme… Il va secourir Renaud… Non : Renaud abat son adversaire aussi… Maintenant, ils courent aux bestiaux. »
Ogier, satisfait, allait prêter main-forte à Roudouleux et Haguenier quand une flèche frôla son épaule.
— Diable !
En quelques foulées, il atteignit une pile de fagots et, accroupi derrière, leva la tête.
« C’est bien ce que je pensais, morbleu ! »
Au sommet du colosse, dans les lueurs craquantes de l’incendie qui prenait couleur et vigueur, un archer bandait son arme.
— Prends garde, Escrive !
Mais il était trop tard : la flèche pénétrait dans le dos du garçon. Il tomba sans un cri et ne bougea plus.
Le damoiseau héla Champartel, occupé à entasser des fagots, et le prévint d’un geste du danger auquel ils se trouvaient tous exposés. Le forgeron renversa les chaudrons, éteignant à demi les feux dont il dispersa les braises à coups de pied.
— Continuez, les gars, de rôtir cette machine.
Ogier se précipita vers le beffroi et sauta sur sa plate-forme infestée de fumées. Confiance au fourreau, il gravit aisément la première échelle. Il allait s’engager sur la seconde lorsqu’une sagette se planta près de sa main, dans un des montants auxquels il se retenait.
— Coquin !… Tu as le mauvais œil et tu vas en périr !
Il passa de l’autre côté des échelons et continua de grimper vivement, certain que l’archer, renonçant pour l’instant à meurtrir un de ses compères, guettait son apparition.
En bas, dans le camp de Knolles, aucun doute : la ripaille cessait. À l’ébahissement succédait la fureur.
Parvenu à la troisième échelle, Ogier prit son élan et bondit. Un trait vint se ficher dans un madrier, à quelques pouces de sa tête, mais en
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