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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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de la vie à deux.
    — Et toi, cousin ?… Vois-tu, si j’étais née bien plus tôt, j’aurais pu devenir l’épouse d’un seigneur fier et rude : il aurait suivi Godefroy de Bouillon ou Saint Louis en Terre Sainte, et ma foi, mes devoirs accomplis, j’aurais pendant des années vécu fort sereine, même avec une ceinture de fer autour des hanches… Mais ces temps-là sont révolus.
    Ogier croisa le regard de Tancrède. Une lueur jaune l’animait, insondable et légère : la luminosité vibrante d’un vitrail.
    — Qui veux-tu retrouver hors de ces murailles ?
    — En quoi cela te concerne-t-il ?
    Soudain mis à quia, le damoiseau caressa Titus, dont un avillon [57] crispé sur son index semblait une bague vivante. Craignant une récidive, il ne cessait d’observer Roland. Il fut tout à coup satisfait que le rapace de sa cousine, en se montrant belliqueux, les eût contraints à s’éloigner l’un de l’autre : Blanquefort surgissait de la guette dont la porte était demeurée ouverte, écartait d’un geste sec la bannière seigneuriale et les rejoignait à grands pas.
    Imaginant la stupeur du sénéchal s’il les avait trouvés enlacés, Ogier domina sa gêne et son étonnement :
    — Qu’est-ce qui vous amène, Hugues ?… Les Goddons bougent-ils ?
    — Non… point pour le moment. Je vais, je viens et vois si tout demeure en ordonnance.
    Les avait-il épiés et ne se montrait-il que maintenant ? Il dévisageait Tancrède.
    — Votre place est en bas. Mathilde vous réclame.
    Le malaise qu’Ogier avait éprouvé lorsque la jouvencelle gisait sur les remparts, fondit sur lui, plus pernicieux et plus désagréable :
    « Ce vieux renard en est-il amoureux ? »
    Il trouva cette supposition absurde et fut doublement consterné par l’attitude sévère, abusive, de Blanquefort et la soumission de Tancrède. En fille obéissante, elle s’éloignait sans mot dire. Et comme il la voyait de dos, il fut incapable de savoir si elle regrettait ou non cette importunité imprévisible.
    Il s’approcha d’un merlon : celui auquel s’était adossé Saint-Rémy. À sa base, le sang sec formait une tache noire.
    — N’y touchez pas, dit Blanquefort.
    Sa voix semblait changée : brusquerie et prière. Ogier feignit l’innocence :
    — À qui ? Au merlon ?… Au sang de ce vieux cagou ?
    Honteux de cette dérobade, et comme le sénéchal se taisait, le damoiseau ajouta sans sourire :
    — À moins qu’il ne s’agisse de Tancrède.
    — Et si c’était ?
    — Au cas où j’aurais l’intention d’y toucher, je me demande bien, Hugues, à quel titre vous me dissuaderiez d’essayer.
    Blanquefort eut un tressaillement et la colère que le garçon surprit dans son regard n’eût guère différé s’il l’avait insulté. Le sénéchal répondit enfin, placide – trop placide – en regardant Titus, immobile, avec un certain mépris :
    — Ma foi, Ogier, il pourrait s’agir d’elle. Mieux qu’aucun autre ici, je sais ce que vous êtes l’un et l’autre… Ce siège nous accable, nous exaspère et nous… excite…
    — Vous voyez… Vous le dites vous-même.
    — Légitimes ou non, bons ou nuisibles, il nous faut savoir maîtriser certains penchants, insista le sénéchal, paisible. Vous qui serez chevalier, sachez vous différencier du commun. Gardez-vous des tentations promptes et malsaines.
    Une fois lâché ce conseil, Blanquefort s’en alla.
    Ogier se laissa distancer. « De quoi se mêle-t-il ? J’aurais dû le lui dire ! » Mais leurs rapports étaient suffisamment tendus, depuis la mésaventure de Tancrède, pour qu’il prît le risque de les envenimer.
    Sitôt dans la cour, le sénéchal partit vers le logis des hommes d’armes. Portant à bout de bras son faucon, Ogier s’engagea sur l’escalier découvert par lequel on accédait au faîte du châtelet. Assis sur une escabelle, au milieu de la courtine, Guillaume sommeillait, penché, la tête entres ses paumes. Il se leva péniblement :
    — Rien pour cette nuit, sans doute. On fait un tour ?
    Le damoiseau acquiesça. Bientôt, à l’extrémité sud des murailles, ils s’arrêtèrent au-dessus de la tortue, presque invisible dans l’obscurité.
    — Ils avaient renforcé leur abri avec des morceaux d’échelles. Et comme j’observais cette carapace au coucher du soleil, j’ai aperçu des bêches et des pioches… Donc, ils allaient creuser à la base plutôt que d’essayer de percer

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