Le héron de Guernica
La veille, après avoir quitté la gare, Basilio s’était aventuré au hasard, parmi les rues.
Vers le soir, fatigué, il avait franchi les grilles du jardin du Luxembourg et s’était assis sur un banc, un peu à l’écart des allées. La nuit était tombée.
Il avait fini par fermer les yeux, et sans doute avait-il dormi par instants, le coude posé sur sa valise, son carton à dessin sur les genoux.
Plus tard, dans l’incertitude des heures, il avait guetté la venue du jour en frissonnant, les avant-bras ramenés contre le torse.
Enfin, il y avait eu le chant des merles et des fauvettes juste avant le souffle balbutié de la lumière.
C’était une drôle de journée qui commençait, se disait Basilio.
Deux semaines plus tôt, il s’était rendu au couvent Santa Clara pour montrer son travail achevé au père Eusebio.
Ils s’étaient retrouvés dans le clair-obscur du réfectoire dont la plupart des vitrages avaient été brisés. Basilio avait déroulé sa peinture sur un bout de table. Le curé l’avait étudiée longuement, en variant les distances de vue. De temps en temps, il levait la tête et Basilio pouvait remarquer combien ses yeux brillaient.
Alors, avait demandé Basilio après un temps.
Le père Eusebio n’avait rien répondu. Il avait poursuivi son étude en silence, s’approchant, s’écartant, avec un regard vers Basilio de temps à autre.
Il avait demandé à garder la peinture une heure ou deux, et ne l’avait rendue à Basilio que vers midi, à la Taverne.
Dis-moi, Basilio, avait-il demandé en se faufilant à ses côtés, est-ce que tu as entendu parler de Picasso ?
Picasso ?
Oui. Un artiste peintre. Espagnol.
Non. Jamais entendu ce nom.
C’est un grand artiste, bien connu ici en Espagne et même en Europe.
Ah bon.
Il se trouve qu’on lui a passé commande pour une exposition très importante qui va se tenir bientôt à Paris. L’Exposition internationale des arts et techniques, ça s’appelle.
Basilio avait continué à tremper son pain dans son assiette de soupe, sans comprendre où le curé voulait en venir.
Eh bien, il paraît qu’il veut réaliser une œuvre sur ce qui s’est passé ici. À Guernica. C’est Felipe, mon ami journaliste qui me l’a dit.
Ah oui.
Il a choisi Guernica, tu te rends compte.
Un temps. Basilio, le pain dans la soupe.
Grâce à lui, on va parler de Guernica, en France, dans le monde entier peut-être. On va s’intéresser à ce qui s’est passé chez nous. Tu comprends ?
Oui, avait dit Basilio, je comprends.
Avec un bon sourire, le curé avait rendu sa peinture à Basilio, roulée en un large cylindre.
C’est un très beau travail.
Vraiment ? avait demandé Basilio.
Oui, avait répondu le curé. Vraiment. Et en plus, si j’osais, je dirais que ton héron me fait penser à notre Jésus. Dieu me pardonne.
Après, il s’était éloigné un court instant pour attraper une assiette de soupe.
Basilio lui avait demandé si Picasso était ici, à Guernica.
Non, je ne crois pas.
Mais, ce lundi de la semaine passée, il y était à Guernica, avait encore questionné Basilio.
Non. Il paraît qu’il a appris tout ça par les journaux.
Un temps.
Alors je comprends pas, avait dit Basilio.
Qu’est-ce que tu ne comprends pas ?
Je comprends pas comment il peut peindre sur les événements de Guernica, s’il n’y était pas quand cela s’est produit.
Les artistes peuvent faire ça, avait dit le curé. Tu ne finis pas ta soupe ?
Non.
Le père s’était incliné vers Basilio.
Bon, écoute-moi, maintenant. Est-ce que tu aimerais savoir ce qu’il a peint au sujet de Guernica, Picasso ?
Oui, bien sûr.
Est-ce que tu irais jusqu’à Paris pour voir ça ?
Il avait souri en posant la question.
Paris ?
Si on se débrouillait pour te payer le voyage.
Basilio avait plissé le front.
Et puis ça te ferait du bien de partir un temps d’ici, de voir du pays, tu ne crois pas ?
Je sais pas, avait bredouillé Basilio. Je suis jamais parti.
Et alors, avait dit le père Eusebio.
Un temps. Le brouhaha de la Taverne, les éclats de voix.
Et puis, tu pourrais emmener ta peinture avec toi. On ne sait jamais. Peut-être qu’on pourrait s’y intéresser. Peut-être que Picasso lui-même, il voudrait y jeter un coup d’œil, qu’est-ce qu’on en sait. Tu y étais, toi, à Guernica. Hein, Basilio.
Oui.
Alors, tu n’as qu’à réfléchir. Tu me diras.
Après avoir grignoté sans faim le reste de ses
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