Le héron de Guernica
biscuits secs, Basilio a consulté son plan de Paris. D’un coup de crayon circulaire, le père Eusebio y avait entouré le Champ-de-Mars et le Trocadéro.
Pour le pavillon espagnol, avait dit le curé, tu n’auras qu’à te renseigner sur place, ça ne devrait pas être trop compliqué.
Les premiers rayons du soleil ont surgi dans son dos, d’entre les toits, et le chant des oiseaux est devenu assourdissant.
Basilio a quitté le banc, emboîtant le pas de deux promeneurs matinaux pour rejoindre la rue de Vaugirard.
Ce jour-là, il y aura la présentation du tableau à la presse et Picasso sera forcément là, avait assuré Felipe. Bien sûr, il y aura les officiels et tous les discours et les gens bien mis, avait dit le père Eusebio. Mais tu comprends, on ne sait jamais comment les choses peuvent se passer.
Pourquoi tu y vas pas à Paris, toi ? avait demandé Basilio.
Parce que j’ai trop de choses à faire ici, à Guernica.
Plus tard, il avait ajouté que de surcroît, et contrairement à Basilio, lui n’était pas un artiste.
Basilio quitta la rue de Vaugirard pour le boulevard Pasteur puis l’avenue de Suffren qu’il descendit d’une démarche inégale et chaloupée. La tour Eiffel s’était mise à peser de toute sa hauteur sur le paysage et capturait incessamment son regard. Une foule de gens déambulaient déjà parmi les nombreuses installations du Champ-de-Mars.
Il rejoignit la Seine, fit quelques pas sur le pont d’Iéna avant de poser sa valise et son carton à dessins contre le parapet. Il resta là, debout, un long moment, face au soleil encore rasant à scruter le fleuve et les embarcations, les bateliers à la manœuvre.
Juste après le pont, s’ouvrait la perspective du Trocadéro bordée de part et d’autre par les pavillons étrangers.
Basilio remarqua l’attroupement qui s’était formé au bas de l’esplanade. Curieux comme à cet endroit, les gens portaient sans arrêt le regard d’un côté et de l’autre, comme les spectateurs d’une partie de tennis.
Basilio vint flâner à leur contact. Il les entendit s’émerveiller du défi que semblaient se lancer les deux édifices monumentaux qui se faisaient face, et au milieu desquels ils se tenaient. Les pavillons allemand et russe.
Basilio lui aussi, leva un instant le nez de droite et de gauche. Et puis il poursuivit sa marche, sans rien goûter de ce vertige.
Deux cents mètres plus loin, il faillit passer devant le bâtiment espagnol sans le remarquer tant, sans doute, il avait imaginé qu’il lui serait long et délicat de le dénicher.
De plus, il avait imaginé une construction flamboyante et élancée ; et il découvrait une architecture plutôt sobre, sur trois niveaux, dont l’élégance discrète tenait surtout à la nature des matériaux, principalement du verre agrémenté de fresques stylisées, l’une représentant la carte géographique de l’Espagne.
Il hésita avant de gravir le perron encore désert.
En haut des marches, un panonceau indiquait en plusieurs langues que le pavillon ouvrait ses portes à midi.
Il se colla le front aux baies vitrées. Regarda les gens qui s’affairaient à l’intérieur.
Après un temps, il redescendit et s’installa aussi confortablement que possible sur les premières marches du perron. Il lui restait deux bonnes heures à patienter.
Monsieur, s’il vous plaît.
Basilio sursauta. Une jeune femme en robe longue était penchée sur lui.
Vous parlez français ? demanda-t-elle aimablement.
Basilio écarquilla les yeux et la jeune femme se mit à lui parler en espagnol.
Je vais vous prier de dégager cet endroit. Nous allons bientôt ouvrir les portes du pavillon.
Je crois que je me suis endormi.
La femme sourit. Basilio se passa la main dans les cheveux, attrapa son carton à dessins qui avait glissé en bas des marches.
Depuis quelque temps, j’arrive plus à dormir au moment où il faudrait.
Il se releva, tapota l’arrière de son pantalon de ses deux mains pour l’épousseter.
Quelle heure est-il ? demanda Basilio.
Onze heures trente.
Un temps.
Je vous remercie, fit la femme en remontant de quelques marches sans quitter Basilio des yeux.
Un peu plus, et je ratais l’ouverture, il dit à voix basse.
Et puis rattrapant la femme, sa valise à la main et son carton à dessins sous le bras : C’est que j’ai beaucoup voyagé pour voir ça.
Ah oui, dit la femme.
Cette fois, elle s’était détournée et avait accéléré sa
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