Le Huitième Péché
régulièrement le dimanche. Il laissait toujours derrière lui un nuage de parfum entêtant. Il regardait droit devant lui et marchait toujours la tête haute, comme ces vieux nobles romains. Même lorsque je passais la tête par la porte, il m’ignorait complètement, il ne s’abaissait même pas à dire bonsoir. En dépit de ses allures distinguées, ce type n’avait aucune éducation. J’ai compris dès le début qu’il ne pouvait s’agir que d’un curé. Je n’ai appris que beaucoup plus tard, et dans des circonstances épouvantables, que c’était non seulement un cardinal, mais un cardinal secrétaire d’État.
Caterina joua les ingénues :
— Mais que venait faire le cardinal dans la Via Gora ?
La concierge vida le reste de la bouteille dans son verre, but une gorgée et poursuivit son récit.
— Au cinquième étage, il y avait une jolie dame. Non, ce n’est pas ce que vous pensez, signorina ! C’était une vraie dame ! Elle était originaire de Suède ou d’Allemagne, en tout cas de quelque part tout au nord. Je crois qu’elle avait fait des études, mais je n’ai jamais compris de quoi elle vivait. Elle n’avait pas de travail régulier. Elle s’appelait Ammer.
Caterina sentit ses doigts tremblants se crisper autour de son verre encore plein. Elle avait du mal à cacher son émotion.
— Et cette dame du cinquième recevait un cardinal ? C’est passionnant, dit-elle.
— Le cardinal venait très régulièrement ; il était réglé comme le carillon d’une église.
— Peut-être pour des recherches scientifiques ? Ou bien ils étaient parents ?
— Laissez-moi rire ! Rasé de frais, parfumé et un bouquet de fleurs à la main ? Ah ! les belles recherches !
Caterina feignit l’étonnement.
— Mais vous m’avez bien dit que Marlène Ammer n’était pas une puttana , mais une dame !
— Ce n’est pas parce que le cardinal était en chasse que la femme était une putain ! rétorqua madame Fellini qui serrait dans sa main droite la bouteille vide.
Tout à coup, elle fixa Caterina en écarquillant les yeux.
— Vous venez bien de dire : Marlène Ammer ?
Sa voix était étouffée et menaçante.
— Oui, Marlène Ammer, répéta Caterina.
— D’où tenez-vous son nom ?
Comment Caterina avait-elle pu être aussi stupide !
— Mais c’est vous qui l’avez dit ! finit-elle par tenter.
— Moi ? N’importe quoi ! Vous croyez que vous vous trouvez devant une vieille ivrogne à qui vous pouvez raconter n’importe quoi ? Qui êtes-vous et que cherchez-vous ?
— J’étais chargée de vous apporter ces fleurs, rien de plus !
Caterina était dans tous ses états. Elle avait si bien monté son coup, et voilà qu’elle s’était trahie par pure étourderie.
À partir de ce moment-là, madame Fellini sembla comme dégrisée.
— Vous me racontez des histoires ! hurla-t-elle, le visage tordu par une grimace. Jamais Gonzaga ne m’a envoyé de fleurs, et jamais il ne m’en enverrait ! Comment ai-je pu donner tête baissée dans un piège aussi grossier !
La concierge se planta devant Caterina en cherchant à l’intimider. Elle y parvint d’ailleurs facilement. Caterina jeta un coup d’œil vers la porte.
— Je vous dois une explication, dit-elle d’une voix hésitante.
— Vous pouvez garder vos explications pour vous ! Mais il y a une seule chose que je veux savoir : dites-moi qui vous êtes et ce que vous voulez !
— D’accord. Je ne m’appelle pas Margarita Margutta, mais Caterina Lima, et je suis journaliste.
— Vous mentez ! Je ne crois pas un mot de ce que vous me racontez. Qui vous a envoyée pour me cuisiner ?
La concierge attrapa par le goulot la bouteille et la brisa contre le rebord de la table. Des éclats volèrent dans toute la pièce.
Un morceau de verre vint se planter dans la joue droite de Caterina. La journaliste sentit un filet de sang chaud couler le long de sa joue. Elle se leva d’un bond pour s’enfuir.
Menaçante, la signora Fellini brandissait un tesson acéré.
— Je veux savoir qui vous a envoyée ! répéta-t-elle en martelant chaque mot.
— Personne ne m’a envoyée, calmez-vous !
Caterina reculait vers la porte d’entrée, les mains en l’air.
La signora Fellini la fixait, déterminée. L’alcool l’avait, semblait-il, complètement désinhibée. Caterina réfléchissait au moyen de se défendre, au cas où la concierge l’attaquerait. Comment faire ? Si
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