Le Huitième Péché
la tête.
L’ascenseur s’immobilisa au deuxième étage avec une secousse imperceptible. Caterina dit aimablement au revoir au vieux monsieur qui la salua à son tour. Puis l’ascenseur s’ébranla et monta vers les étages supérieurs.
Caterina entendit à travers la porte de l’appartement une musique forte d’un genre assez mal assorti au standing de l’immeuble. Elle chercha en vain une plaque comportant un nom et ne découvrit qu’une sonnette dans le mur, rien d’autre.
Elle sonna.
La musique s’interrompit brutalement pour faire place à des bruits de pas. Quelqu’un allait et venait. Les pas se rapprochèrent enfin de l’entrée. Quelqu’un ouvrit, ou plutôt ne fit qu’entrebâiller la porte.
— Signora Fellini ? demanda Caterina qui avait tout de suite reconnu l’ancienne concierge dans une combinaison rose, juchée sur des chaussures Prada à talons hauts, qui devaient coûter une petite fortune. Elle tenait une cigarette allumée dans sa main droite et elle titubait un peu. À l’évidence, elle avait bu.
— Que voulez-vous ? demanda madame Fellini d’une voix pâteuse et assez vulgaire, tout en jetant un regard fatigué sur le bouquet de fleurs.
— On m’a chargée de vous remettre ces fleurs, c’est de la part du signor Gonzaga.
Avant que Caterina ait pu faire le moindre geste, la porte se referma violemment. La jeune femme avait imaginé la scène différemment : elle resta interdite, les bras ballants.
Elle aurait pourtant pu se douter de la réaction d’une femme qui se trouve du jour au lendemain, sans qu’elle n’ait rien demandé, transplantée dans une tout autre vie. Caterina s’en voulait. Elle était sur le point de tourner les talons lorsque la porte se rouvrit.
— Entrez, lui dit la signora Fellini qui avait juste passé un peignoir.
Surprise, Caterina se figea. Ce n’est que lorsque la signora Fellini l’invita à entrer d’un signe de la tête que la jeune femme réagit.
— Ne le prenez pas mal, reprit la femme en la précédant dans un corridor sombre, mais je n’habite pas ici depuis longtemps. On entend tellement parler de cambriolages dans le quartier… Du coup, on devient méfiant.
— Oui, on n’est jamais trop prudent, répondit Caterina. Mais je dois dire que je n’aurais jamais cru qu’on puisse me prendre pour un cambrioleur.
— Justement, c’est ce qui m’a finalement décidée à vous ouvrir. Pardonnez-moi.
— Je vous en prie, c’est déjà oublié.
Dans le salon faiblement éclairé, Caterina tendit le bouquet à l’occupante des lieux. Elle avait choisi des lys en toute connaissance de cause. S’il y avait une fleur qui sentait le clergé, c’était bien le lys.
Dans l’iconographie chrétienne, on retrouve cette fleur partout. Elle véhicule de multiples significations. Comme la sève de sa tige sent le lait frais, on en a fait le symbole de la virginité, et donc de l’innocence.
— Redites-moi, qui donc m’envoie ces fleurs ? demanda la signora Fellini en jouant, mal du reste, les indifférentes.
— Un certain signor Gonzaga, répondit Caterina, on m’a dit que vous comprendriez.
— Ah ! Gonzaga ! Mais oui, bien sûr !
À la façon dont la signora Fellini prit le bouquet que lui tendait Caterina, il paraissait évident qu’on ne lui avait sans doute jamais, ou tout au plus extrêmement rarement, offert des fleurs.
— Je ne veux pas vous faire perdre un temps précieux, dit Caterina en se disposant à partir.
Le plan fonctionnait à merveille.
— Oh, vous savez, j’ai tout mon temps, objecta la femme. Je vis ici toute seule, dans ce grand appartement. C’est un bel immeuble dans le meilleur quartier de Rome, mais je viens juste d’emménager, et je ne connais pratiquement personne ici. En semaine, je traîne sur les marchés de la ville, cela me change les idées. Avant, j’étais concierge, alors, tous les jours, il se passait quelque chose.
Caterina fit l’étonnée.
— Concierge ?
Elle jeta un regard autour d’elle dans l’immense salon sommairement meublé de quelques vieux meubles qui détonnaient vraiment dans ce cadre luxueux.
— Un héritage ? Vous en avez de la chance !
La signora Fellini hocha la tête.
— Je n’ai pas de problèmes matériels, en effet, dit-elle, apparemment un peu troublée. Vous pouvez me redire le nom de celui qui m’offre ces fleurs ?
— Monsieur Gonzaga, Gonzaga comme le cardinal !
Caterina ne perdait pas une
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