Le Huitième Péché
l’employée après avoir longuement consulté son écran. Mais si vous voulez, cela peut aller plus vite…
— Non, non, rien ne presse. Demain à partir de dix heures.
Après avoir signé puis repris sa carte de crédit et son ticket, le mystérieux client disparut aussi discrètement qu’il était arrivé. Deux minutes plus tard, il prenait l’A3 en direction de Wiesbaden au volant de sa Mercedes bleu nuit.
À cette heure matinale, il y avait encore peu de circulation sur l’autoroute. Soffici pouvait conduire tout en faisant le point sur la situation.
Il était sûr que, pour le moment, Gonzaga n’avait pas la moindre idée de ce qui s’était passé. Le cardinal continuait de le considérer, lui Soffici, comme un secrétaire modèle, comme un paillasson.
Un de ces types qui considèrent le titre de monsignor comme le sommet de leur carrière dans le clergé et remercient Dieu trois fois par jour à genoux de leur avoir accordé cette grâce.
Depuis l’enlèvement, une semaine s’était écoulée, le cardinal pensait peut-être qu’il était mort.
En tout état de cause, il était clair que Gonzaga avait dû reprendre ses activités courantes. Quant à lui, il savait le cardinal capable de tout. Sa satisfaction n’en était que plus grande. Gonzaga l’avait sous-estimé. Jamais il n’aurait pu imaginer que son secrétaire serait capable de faire cause commune avec Gueule-brûlée.
Certes, à l’origine, l’idée n’était pas la sienne. C’était Gueule-brûlée qui l’avait approché. Il lui avait proposé de convaincre son chef Gonzaga de l’intérêt de l’affaire. Dans un premier temps, Soffici avait eu quelques difficultés à comprendre ce que l’homme défiguré lui racontait. Gueule-brûlée lui avait expliqué qu’il avait lui-même prélevé un morceau du linceul de Turin avec l’intention d’en tirer de l’argent. Beaucoup trop d’argent.
Ce n’était pas l’argent qui comptait pour Soffici. Il voyait surtout dans cette affaire l’opportunité de se venger de Gonzaga. Gonzaga l’avait trop souvent humilié, il l’avait traité comme un chien et l’avait tourné en ridicule. Le temps était venu de lui renvoyer la balle, une seule et unique balle.
Sur les conseils de Gueule-brûlée, il avait arrangé ce rendez-vous sur la Piazza del Popolo. Soffici secoua la tête : comment aurait-il pu savoir que Gonzaga allait être victime d’un accident de voiture ?
Puis Gueule-brûlée avait appris par des voies détournées que Gonzaga, victime du chantage d’Anicet, n’avait pas livré l’original du linceul au château de Layenfels, mais la copie. C’était la conclusion qui avait été tirée des examens scientifiques que le saint suaire y avait subi.
Gueule-brûlée avait alors flairé une nouvelle affaire, bien plus juteuse encore : il avait mis en scène l’enlèvement de Gonzaga en se faisant aider de professionnels du crime. Heureusement que Soffici était introduit dans la confidence, car autrement, pensait-il, il serait mort de frayeur.
Malheureusement, cet enlèvement avait été un fiasco complet. Gonzaga avait soutenu mordicus qu’il avait apporté l’original du linceul au château de Layenfels, et ce malgré le supplice du froid qui avait failli lui coûter la vie.
Le minuscule morceau d’étoffe que Gueule-brûlée avait découpé dans le linceul n’en devenait que plus précieux. Cela permettrait de prouver que le linceul qui se trouvait désormais au château de Layenfels était bien l’original, en dépit des examens scientifiques qui prétendaient le contraire.
Je connais Anicet et ses obscurs acolytes, songeait Soffici. J’étais présent lorsque Gonzaga leur a remis le linceul de Jésus de Nazareth. J’ai donc eu l’idée de proposer à Anicet ce précieux bout de tissu.
Mais Gueule-brûlée n’avait pas joué franc jeu ; il avait tenté de vendre l’objet à un certain Malberg, qui était, d’une manière ou d’une autre, impliqué dans cette affaire. Soffici avait suivi Gueule-brûlée et avait ainsi été témoin de la scène dans la basilique Saint-Pierre : l’homme au visage défiguré avait cherché à vendre à quelqu’un d’autre ce morceau de linceul. Il devait payer pour cette trahison.
Gueule-brûlée ne comptait pas beaucoup d’amis dans les milieux criminels où il avait la réputation de faire cavalier seul ; or, les personnages de ce genre sont peu appréciés, car ils passent pour imprévisibles et
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