Le Huitième Péché
pouvez le lui dire !
— Permettez-moi de vous faire une remarque, commença Soffici en prenant son temps. Je suis absolument certain que le cardinal Gonzaga vous a remis l’original. Il tremble beaucoup plus que vous ne le croyez à l’idée de vous tromper. Il y va de sa position de secrétaire d’État. Il n’a, qui plus est, pas complètement renoncé à l’espoir de devenir pape. Il y a des carriéristes jusqu’au Vatican. Mais je ne vous apprends rien !
Anicet rejeta la tête en arrière – ce qui sembla lui coûter – pour s’assurer que personne n’avait écouté leur conversation depuis une fenêtre dans les étages supérieurs. Il entraîna alors Soffici à l’intérieur du bâtiment et l’emmena vers un escalier.
— Suivez-moi, dit-il.
L’escalier permettait d’accéder directement au bureau d’Anicet. La lumière pénétrait à peine à travers les vitres en cul de bouteille.
L’ameublement était spartiate : en face de la fenêtre, une grand table de bois brut, comme on en trouve dans les réfectoires des monastères, aux murs des étagères croulant sous des centaines de livres et de dossiers. Comment est-il possible de s’y retrouver dans un pareil désordre ? se demanda Soffici.
— Alors, que voulez-vous ? répéta Anicet sèchement après avoir fait asseoir l’intrus sur une chaise inconfortable avec un dossier qui lui entrait dans le dos.
— J’ai en ma possession une chose minuscule, commença Soffici après avoir pris place. Une chose qui pourrait permettre de vérifier l’authenticité du suaire de Turin, de celui-là même que vous conservez ici, au château de Layenfels.
— Vous voulez parler de ce petit bout d’étoffe qui a été découpé il y a quelques années par cet escroc ?
Anicet se pencha par-dessus son bureau, avec un sourire aux coins des lèvres, et soupira :
— Gonzaga ! Le diable de pourpre.
— Gonzaga n’a rien à faire dans tout cela, rétorqua Soffici d’un air pincé. Il ne sait même pas que je suis ici. Depuis mon enlèvement, tout le monde me croit disparu.
— Et votre grosse cylindrée ?
— La voiture de fonction du cardinal secrétaire d’État ! Dans certains milieux, c’est un jeu d’enfant d’échanger une plaque minéralogique contre une autre.
Anicet commençait à se poser des questions : n’avait-il pas sous-estimé ce Soffici ?
— Vous prétendez donc le plus sérieusement du monde que vous êtes en possession de cet échantillon d’étoffe provenant du suaire de Turin.
— Exactement.
Le visage d’Anicet s’éclaira à nouveau d’un sourire ironique.
— Dommage que Gueule-brûlée prétende exactement la même chose.
— Gueule-brûlée est mort. Son cadavre a été retrouvé au fond du bassin de la fontaine de Trevi.
Anicet avala sa salive. Les idées se bousculaient dans sa tête. Il passa la main sur son visage, comme pour effacer certains souvenirs.
— Est-ce vrai ? demanda-t-il d’une voix qui manquait subitement d’assurance.
Soffici avait prévu cette question. Il tira de son veston une coupure de journal qu’il mit sous le nez du chef de la confrérie. Anicet jeta un coup d’œil sur le document, puis hocha la tête.
— Une crapule de moins sur cette terre, remarqua-t-il sur un ton sarcastique. Ce n’est pas une grosse perte.
La froideur de la pièce sombre et humide coïncidait à merveille avec celle d’Anicet.
— À présent, me croyez-vous ? reprit Soffici. Gueule-brûlée était un gangster qui ne reculait devant rien ; il a proposé à quelqu’un d’autre le morceau d’étoffe. Il voulait me doubler, alors que c’est moi qui avais tout organisé. C’était, bien sûr, inacceptable.
Contrairement à son habitude, Anicet avait gardé le silence.
— Alors, pour Gueule-brûlée, c’est vous qui avez…
— Qu’allez-vous penser là ! coupa Soffici. Non, il a été en quelque sorte victime d’un accident du travail.
Anicet haussa les épaules. Il ne voulait pas le savoir, de toute manière. Il parut subitement inquiet :
— Avez-vous la chose ? demanda-t-il sur un ton pressant.
Un sourire arrogant passa sur le visage du monsignor. Il savait que son interlocuteur finirait par poser la question. Il savoura pleinement cet instant. Désormais, c’était lui le chef, et il eut même l’impression qu’Anicet rapetissait derrière son bureau.
— Quelle idée, finit-il par répondre. J’ai pris des dispositions afin de pouvoir
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