Le Huitième Péché
que l’échange était terminé.
Mais l’homme pâle engagea à nouveau la conversation :
— Qu’est-ce qui vous fait dire que je suis un collectionneur ?
— Eh bien… fit Malberg qui avait du mal à formuler sa réponse. Il n’y a qu’un collectionneur qui puisse débourser une somme aussi faramineuse pour un livre dont la valeur reste à déterminer.
— Vous voulez dire que le livre pourrait être un faux ?
— Absolument pas. Ce qui distingue le marché du livre du marché de l’art, c’est que les faux y sont extrêmement rares. Vous connaissez sans doute cette phrase de Camille Corot. Cet artiste a peint dans sa vie plus de deux mille tableaux ; or il en existe trois mille, rien qu’en Amérique. Non, contrefaire un livre datant des débuts de l’imprimerie serait bien trop compliqué. Et puis, il est facile de dater avec précision du papyrus ou du papier.
— Vu sous cet angle, l’ouvrage de Mendel est relativement récent !
— Justement. Sa valeur repose sur le fait qu’il soit unique, tant de par son histoire que de par son contenu.
Celui que Malberg avait pris pour un collectionneur parut subitement intrigué.
— Vous connaissez le contenu du livre ?
— Oui. Ou plutôt non. J’ai seulement une vague idée de ce qui y est dit.
— Tiens donc, fit l’inconnu, arborant un sourire condescendant qui exprimait moins son contentement que son savoir et sa supériorité. Alors, vous en savez plus que moi, ajouta-t-il avec ironie.
Il était évident que cet homme ne le prenait pas au sérieux. Malberg trouvait son attitude désagréable. Il se pencha vers son voisin pour lui chuchoter :
— Seuls quelques rares bibliophiles – et ce ne sont même pas des experts – connaissent l’existence de ce livre de Gregor Mendel. Pourtant, cet ouvrage est parmi les plus importants qui aient jamais été écrits. Mais on le croyait disparu. De plus, il a été rédigé en langue cryptée, ce qui explique qu’il soit tombé dans l’oubli. Pas étonnant, du coup, que le livre et son contenu donnent lieu aux spéculations les plus folles. Mais vous le savez certainement déjà depuis longtemps. Les journaux n’arrêtent pas d’en parler.
— Non, non ! fit l’homme pâle, qui paraissait tout à coup impressionné. Vous semblez en savoir plus que ce qui est écrit dans les journaux. Je me demande seulement d’où vous tenez tout ce savoir…
Ce fut au tour de Malberg d’arborer une certaine arrogance pour répondre, avec un sourire délibérément condescendant :
— J’ai fait des études de bibliothécaire et j’ai rédigé un mémoire sur les ouvrages disparus de la littérature mondiale. Le Peccatum octavum , le livre de Gregor Mendel, en fait partie. Je ne pouvais pas me douter qu’un jour, un exemplaire de cet ouvrage referait surface.
Il était presque midi, et la conversation menée à voix basse par les deux hommes dans la dernière rangée commençait à agacer certaines personnes dans la salle.
— Me feriez-vous l’honneur de venir déjeuner avec moi ?
Malberg nota l’élégance avec laquelle son voisin s’exprimait.
— Avec plaisir, répondit-il, sans se douter de l’aventure dans laquelle ces deux petits mots allaient le précipiter.
La brasserie était située au pied d’un ensemble d’immeubles d’architecture postmoderne froide et sobre. Elle était connue pour l’excellence de sa cuisine méditerranéenne.
Entre les pâtes et la dorade grillée que le serveur leur avait recommandées, l’inconnu reprit le sujet de la conversation entamé lors de la vente :
— Vous pensez donc qu’il ne sera pas facile de traduire ce livre écrit dans une langue étrange ?
— Effectivement. Autant que je me souvienne, Friedrich Franz, moine à l’abbaye Saint-Thomas de Brünn, a laissé dans un de ses ouvrages un indice concernant le livre mystérieux de Gregor Mendel. Cet indice concerne aussi bien le contenu du livre que la langue chiffrée. Il ne tenait pas, semble-t-il, à ce que ses frères de l’abbaye eussent connaissance du résultat de ses recherches.
— Connaissez-vous la signification du titre du livre ?
L’inconnu arborait un sourire plein de suffisance.
— Pour être franc, non.
— Alors, j’ai déjà ce privilège !
Malberg ne put s’empêcher de dire :
— Je serais curieux d’en connaître le sens !
L’inconnu se redressa comme un prédicateur et répondit avec un air théâtral :
— La
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