Le Japon
suivante, en 1873, le décret sur la conscription crée une armée nouvelle, constituée de recrues et d’officiers issus de l’ensemble des couches de la population. Cette réforme met fin à la toute-puissance des samouraïs en matière militaire.
En même temps, une réforme fiscale de la propriété foncière est lancée, tandis que le principe de la propriété privée est garanti par le nouvel État. L’adoption du système métrique, du calendrier occidental, d’une monnaie unique, d’une poste publique accélère l’entrée du pays dans l’âge moderne. Enfin, de nombreuses mesures sont prises pour encourager la production industrielle, la construction de chemins de fer ou de ports modernes en eau profonde.
Les transformations accélérées de la société japonaise à partir de 1868 ne se font pas sans heurts ; illusions, désirs et attentes débouchent sur des conflits politiques et sociaux. Les réformes suscitent de violentes réactions dans les couches moyennes et la paysannerie, réactions qui finissent par ébranler l’ensemble du corps social. Ainsi, la réforme dite du « rajustement des impôts fonciers » qui commence à s’appliquer à partir de 1873. Elle vise à remplacer les anciennes redevances annuelles (dont le taux différait d’un fief à l’autre) par un système d’impôt foncier se voulant rationnel et uniforme et supprimant les différentes contraintes pesant sur les terres :payé par les propriétaires, le nouvel impôt est fixé à 3 % du prix de la terre après établissement d’un cadastre national – montant considérable qui sera finalement réduit à 2,5 % en 1877. Incapables de payer l’impôt, les paysans devenus propriétaires sont contraints de vendre leurs terres, de devenir des fermiers ou d’émigrer vers les villes.
On voit que les réformes ne sont pas le fruit d’une volonté populaire générale ; elles sont imposées par l’État, c’est-à-dire décidées – avec la bénédiction de l’empereur – par ceux qui se sont emparés du pouvoir lors de la restauration impériale. Pour les nouveaux dirigeants, il est urgent de renforcer les pouvoirs de l’État de manière à accélérer les réformes et l’industrialisation. Le pays poussé à marche forcée vers la puissance économique et militaire serait alors capable d’imposer aux étrangers la renégociation des traités inégaux et de repousser toute tentative occidentale d’invasion ou de colonisation 79 . Les dirigeants adoptent une démarche autoritaire qui néglige la manifestation de toute opposition.
Face à cet autoritarisme, un courant émerge qui évoque l’importance des droits du peuple – ce que les historiens nomment le Mouvement pour la liberté et les droits du peuple. Un vrai débat s’engage à la fin des années 1870. Il ne porte sur rien moins que la Constitution elle-même. L’objectif du mouvement, c’est la poursuite de la révolution de Meiji, avec, en premier lieu, « l’ouverture d’une représentation nationale » et lareconnaissance de l’existence de partis, mais aussi la baisse des taxes foncières ou la révision des traités « humiliants ». Régime constitutionnel, réforme agraire et indépendance nationale ne sont-ils pas les objectifs de la plupart des « révolutions bourgeoises » du XVIII e et du XIX e siècle (même si, dans le cas japonais, la « bourgeoisie » n’a joué qu’un rôle secondaire) ?
À l’origine, les principaux acteurs du mouvement sont des ex-samouraïs relégués dans l’opposition et partisans des droits du peuple ainsi que de jeunes fonctionnaires gagnés à l’ouverture et aux Lumières. Vers 1880, la paysannerie, souvent menée par les notables de village, entre en scène à son tour. Des milliers d’associations sont créées. Par l’intermédiaire de meetings, de débats contradictoires, de lectures publiques, elles ont contribué à la diffusion d’un fervent mouvement de réflexion populaire sur l’avenir politique du pays. Les activités de ces associations sont multiples. Dispensaires de soins, promotion des techniques agricoles modernes, lieux de débats politiques… À partir de 1881, les débats prennent le pas sur les autres activités. L’idée que le peuple doit participer à l’élaboration collective de la constitution se répand. Projets de constitution et pétitions en faveur d’un régime d’assemblée se multiplient à la barbe d’un gouvernement pris de
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