Le Japon
est porteur d’une lettre du président américain adressée au shogun d’Edo demandant l’ouverture de relations diplomatiques et commerciales entre les deux pays. Le shogunat fait savoir qu’une réponse sera donnée dans l’année.
Les autorités japonaises sont désemparées. Dans un geste d’union nationale, Abe Masahiro, le ministre du shogun, prend la décision de convoquer les grands seigneurs du pays, les daimyos, pour les consulter. Cette attitude qui vise à souder l’ensemble des élites derrière le régime est interprétée par le pays comme un aveu de faiblesse et donne le signal d’une agitation politique nouvelle. Le 31 mars 1854 est signé le traité d’amitié nippo-américain.
La mission de Perry se solde par un franc succès. Les États-Unis ont mis un terme à plus de deux siècles d’isolement relatif du Japon. En 1858, un traité de commerce est signé avec Washington, puis, dans les mois et années qui suivent, avec les autres grandes puissances européennes. Les ports sont ouverts au commerce avec les étrangers. Le shogunat perd son monopole sur les produits d’importation ainsi que son droit de taxer librement les produits à l’exportation. Les étrangers auteurs d’actes délictueux seront jugés selon la loi de leur pays devant leurs autorités. Les zones habitées par les étrangers, les concessions, deviennent des zones extraterritoriales sur le plan juridique. Ces traités n’ont pas de durée spécifiée.
Après l’humiliant traité de Nankin imposé par les Anglais à Pékin en 1842, le Japon est à son tour contraint de signer des traités inégaux. Le Japon a paré au plus pressé, évité une agression militaire qu’il n’aurait sans doute pas pu repousser. Mais il perd là une partie de son indépendance. Nombreux sont ceux qui pensent que la politique des Occidentaux se résume à la formule « La Chine d’abord, le Japon ensuite ». La société japonaise est ébranlée dans ses fondements. Pour le régime shogunal, c’est le début de la fin.
Les grands seigneurs sont divisés. La majorité d’entre eux et de leurs vassaux se montre hostile à cette politique d’ouverture et de compromis. Les « xénophobes » veulent expulser les étrangers et pensent qu’il faut remettre l’empereur au centre du système. Une partie des guerriers pense au contraire qu’il faut ouvrir le pays aux Occidentaux et donc soutenir le shogun tant que celui-ci défend cette politique. D’autres craignent une invasion étrangère, mais ne sont pas nécessairement hostiles à tout contact avec eux. Partisans de l’ouverture et xénophobes sont en réalité unis dans leur volonté de préserver l’indépendance du pays et, en même temps, de découvrir l’Occident. D’une certaine façon, c’est de la « révolte contre l’Occident », un Occident porteur demenaces, que naît la réaction qui aboutit à la construction de l’État de Meiji.
Face à l’arrivée des Occidentaux, le régime shogunal ne reste cependant pas inerte. Dans trois domaines, il se montre même furieusement « moderne ».
D’abord, il établit dès 1856 à Nagasaki un Centre d’instruction de la marine militaire avec des instructeurs néerlandais. En 1860, un équipage japonais relie Edo à San Francisco sur un navire moderne. Ensuite, le régime shogunal décrète la création de l’Office d’investigation des ouvrages barbares, qui sélectionne les ouvrages occidentaux à traduire d’urgence et forme de jeunes spécialistes des études et des langues étrangères.
À l’origine, la langue de travail est le néerlandais. Fukuzawa Yukichi, grand intellectuel favorable à l’ouverture, s’aperçoit en 1859 que, dans le comptoir de Yokohama, la lingua franca commerciale entre Occidentaux n’est pas le néerlandais mais bien l’anglais. Stupeur ! Il écrit qu’alors il se sentit « anéanti » : « L’anglais était couramment utilisé de par le monde et je ne le savais pas ! » En plus des langues, on enseigne à l’Institut l’astronomie, la géographie, la physique, la chimie, les mathématiques. Traductions techniques, scientifiques, juridiques, économiques se multiplient.
Enfin, le shogunat envoie des délégations à l’étranger. « Voir l’Occident de ses propres yeux ! » En 1860, une première ambassade se rend aux États-Unis pour ratifier le traité d’amitié et de commerce. Sept missions diplomatiques suivront aux États-Unis et en Europe.
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