Le Japon
soif d’horizons nouveaux : Yoshida Shôin incarne les contradictions d’une époque et d’une génération pour laquelle le cadre étriqué où la maintenaient les Tokugawa était devenu une source de frustration. Une génération d’où sortirent les fondateurs du Japon moderne de Meiji.
La révolution Meiji
En l’espace d’une génération, entre 1853 – arrivée de la flotte américaine commandée par Perry – et les années 1885-1890, l’organisation politique, économique, culturelle et technologique du Japon est bouleversée de fond en comble. Le pays s’engage dans la voie de la modernisation de ses structures, phénomène qui s’accélère après la restauration impériale de 1868. Cette modernisation est souvent le fruit de décisions prises dans l’urgence et de manière pragmatique. Relayée dans la population par une soif de changements, elle déclenche une « révolution » des institutions, des manières de penser, de la culture au quotidien.
Que s’est-il passé au cours de ce tiers de siècle qui ait pu pousser le Japon à se moderniser si vite ? Comment expliquer le succès relatif d’un pareil changement ? La première idée qui vient à l’esprit est que la modernisation japonaise s’effectue sous la pression des Occidentaux : ils ont forcé l’ouverture et obligé les dirigeants japonais à évoluer dans leurs pratiques politiques. Certes, mais pourquoi, dans le contexte de l’impérialisme triomphant, l’arrivée des Occidentaux aurait-elle été bénéfique au Japon alors qu’ailleurs elle s’est traduite par la colonisation et, dans le cas voisin chinois, le dépeçage territorial ? Au XIX e siècle, seuls l’Empireottoman, la Perse, le Siam (actuelle Thaïlande) et le Japon échappent à l’appétit des Occidentaux, mais le Japon est le seul à s’industrialiser rapidement. La plupart des chercheurs aujourd’hui pensent que la société d’Edo (les années 1603-1868), dominée par la dynastie des Tokugawa, était engagée dans un processus de modernisation avant l’arrivée des Occidentaux, processus de modernisation bloqué par un couvercle institutionnel, le régime shogunal. L’arrivée des Occidentaux débloque en quelque sorte une machine qui ne demandait qu’à l’être.
Pour appuyer cette thèse, un certain nombre d’indices montrent que la marche vers la modernité a commencé à la fin du XVIII e siècle : le développement d’une « révolution industrieuse » entre 1750 et 1850 qui précède la révolution industrielle proprement dite à la fin du XIX e siècle ; un haut niveau d’éducation générale qui donne naissance à une « société lettrée » ; un processus de « désenchantement du monde » qui conduit à une pensée rationnelle et à des démarches de nature scientifique chez certains intellectuels. La modernisation japonaise viendrait donc de loin. Mais l’édifice vermoulu du système shogunal des Tokugawa, mis en place pour l’essentiel au début du XVII e siècle, tient encore suffisamment pour empêcher tout processus de réforme intérieure décisive. C’est de la « pression étrangère » que vont venir des changements radicaux.
Au milieu du XIX e siècle, les Occidentaux sont en effet de plus en plus pressants. Les Russes engagés dans leur expansion à travers la Sibérie touchent aux portes de l’archipel sur ses frontières nord. Les Britanniques engagés dans le commerce illicite de la drogue avec la Chine sortent victorieux en 1842 de la guerre de l’opium qui met à genoux l’Empire mandchou des Qing. Depuisl’installation des Américains en Californie en 1846, les États-Unis sont devenus une puissance maritime dans le Pacifique et ils mènent la chasse à la baleine dans les mers qui entourent l’archipel. Plus préoccupés de diffusion du christianisme, les Français sont présents aussi, notamment autour de l’archipel d’Okinawa.
C’est dans ce contexte que l’amiral américain Perry arrive sur les côtes japonaises avec quatre navires de guerre dont deux à vapeur, restés célèbres au Japon sous le nom de « bateaux noirs », et mouille dans la baie d’Edo en juillet 1853. Le navire amiral de la flotte américaine embarque 2 450 tonneaux : c’est le plus gros navire de guerre de son temps. Les jonques japonaises qui, par dizaines, encerclent la flotte étrangère ne pèseraient pas lourd si Perry donnait l’ordre d’ouvrir le feu. En fait, l’amiral
Weitere Kostenlose Bücher