Le Journal D'Anne Frank
ce que Monsieur découvre le pot aux roses. Lui, en revanche, s’est mis en colère, il a confisqué le livre et cru l’affaire réglée. Cependant il avait compté sans la curiosité de son fils, que l’énergique intervention du papa n’avait nullement désarçonné. Peter échafaudait des plans pour finir malgré tout la lecture de ce livre particulièrement intéressant. Entre-temps, Madame avait demandé à Maman son avis sur la question. Maman estimait que ce n’était pas un livre pour Margot, mais elle ne trouvait rien à redire à la plupart des autres. « Vous savez, madame Van Daan, dit Maman, il y a une grande différence entre Margot et Peter : premièrement, Margot est une fille et les filles sont toujours plus mûres que les garçons. Deuxièmement, Margot a souvent lu des livres sérieux et ne recherche pas ce qui ne lui est plus interdit. Et troisièmement, Margot est beaucoup plus en avance et plus raisonnable, ce qui s’explique par ses quatre années de lycée. » Madame l’a reconnu, mais elle continuait à penser qu’en principe, il ne fallait pas laisser des enfants lire des livres d’adultes.
Entre-temps, Peter avait trouvé le bon moment, celui où personne ne s’occupait du livre ni de lui. A sept heures et demie du soir, pendant que toute la famille écoutait la radio dans le bureau privé, il a repris son trésor et l’a emporté sous les combles. Il devait normalement être redescendu à huit heures et demie, mais le livre était si captivant qu’il n’a pas vu le temps passer, et il arriva en bas de l’escalier du grenier au moment précis où son père entrait dans la pièce. On imagine la suite, tape, gifle, bourrade, voilà le livre sur la table et Peter sous les combles. L’affaire en était là lorsque la famille s’est réunie pour dîner. Peter est resté là-haut, personne n’a fait attention à lui et il a dû aller se coucher sans manger.
Nous poursuivions notre repas en bavardant gaiement quand un sifflement strident a retenti, tout le monde a posé sa fourchette et nous nous sommes tous regardés, pâles de frayeur. Puis nous avons entendu la voix de Peter crier dans le tuyau du poêle : « Je m’en fous, je ne descendrai pas. » M. Van Daan s’est levé d’un bond, laissant tomber sa serviette, et rouge de colère, il a crié : « Ça suffit maintenant. »
Papa l’a pris par le bras, craignant le pire, et les deux messieurs sont montés au grenier ; tout en protestant et en trépignant, Peter a fini par atterrir dans sa chambre, la porte s’est refermée et nous avons repris notre repas. Madame voulait mettre de côté une tartine pour son fifils. Monsieur était inflexible : « S’il ne présente pas immédiatement des excuses, il dormira au grenier. » Nous avons protesté en disant qu’il était suffisamment puni d’aller se coucher sans manger, Peter risquait de s’enrhumer et il n’y aurait pas moyen de faire venir un médecin.
Peter n’a pas demandé pardon, il était déjà remonté au grenier, M. Van Daan ne s’en est plus mêlé mais s’est aperçu le lendemain matin que le lit de Peter était défait, à sept heures il était retourné au grenier, mais les paroles amicales de Papa ont réussi à le convaincre de redescendre. Trois jours de mines renfrognées, de silences butés, et tout a fini par rentrer dans l’ordre.
Bien à toi,
Anne
LUNDI 21 SEPTEMBRE 1942
Chère Kitty,
Aujourd’hui, je vais te donner les dernières nouvelles de l’Annexe. On a installé une lampe au-dessus de mon divan pour que je puisse éventuellement tirer sur une ficelle et éteindre en cas de coups de feu. Cependant, je ne peux pas le faire pour le moment, puisque notre fenêtre est entrouverte jour et nuit.
La section masculine des Van Daan a construit un garde-manger très confortable en bois teinté avec une vraie moustiquaire. Cette œuvre d’art se trouvait jusqu’à présent dans la chambre de Peter, mais a été transférée au grenier pour profiter de plus de fraîcheur, et à la place on a mis une étagère. Je lui ai conseillé de mettre la table à cet endroit avec une jolie nappe et d’accrocher au mur son unique placard, là où se trouve maintenant la table, ça pourra faire un petit coin accueillant, même si je n’aimerais pas beaucoup y dormir.
Mme Van Daan est insupportable. Ceux du dessus n’arrêtent pas de me réprimander pour mon bavardage incessant. Mais je les laisse dire.
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