Le Journal D'Anne Frank
absente tout l’après-midi, elle a dû imiter la voix de Bep au téléphone. En bas (au bureau) et en haut aussi, c’était le fou rire général et maintenant, chaque fois que le téléphone sonne, Bep dit : « Tiens, voilà Mme Dreher ! » Ce qui fait que Miep se met à rire avant de décrocher et répond aux gens très impoliment, en pouffant. Tu vois, une affaire aussi sympa que la nôtre, il n’y en a pas deux au monde, les directeurs s’amusent comme des petits fous avec les employées ! Le soir, je vais de temps en temps bavarder un peu chez les Van Daan. On y mange des gâteaux antimites avec de la mélasse (ils étaient dans une boîte en fer dans’ une penderie pleine de naphtaline) et on s’amuse. L’autre jour, nous avons parlé de Peter. J’ai raconté que Peter me caresse souvent la joue et que je n’aime pas ça. En bons parents qu’ils sont, ils m’ont demandé si je ne pouvais pas aimer Peter, parce que lui m’aimait sûrement beaucoup, j’ai pensé « oh pitié », et j’ai dit : « Oh ! non » ; tu imagines un peu ! Puis j’ai dit que Peter était un peu ours et qu’à mon avis il était timide, comme tous les garçons qui n’ont pas l’habitude de fréquenter des filles.
Je dois dire que le comité de clandestinité Annexe (section messieurs) est plein d’imagination. Écoute un peu leur nouvelle trouvaille pour montrer à M. Broks, représentant de la société Opekta, ami et conservateur clandestin de nos biens, une lettre de nous ! Ils envoient une lettre tapée à la machine à un commerçant de Flandre zélandaise, client indirect d’Opekta, en lui demandant d’utiliser pour la réponse un formulaire à remplir et de le renvoyer dans l’enveloppe jointe. Sur cette enveloppe, Papa écrit l’adresse. Quand cette enveloppe leur revient de Zélande, ils enlèvent le formulaire et mettent à la place un mot que Papa aura écrit à la main. Ainsi, Broks pourra le lire sans avoir de soupçons. Ils ont choisi la Zélande parce que c’est près de la Belgique et que la lettre peut facilement avoir passé la frontière en fraude, et parce que personne n’a le droit de s’y rendre sans autorisation spéciale. Un simple représentant comme Broks n’obtiendra certainement pas cette autorisation.
Hier soir, Papa a encore fait toute une comédie, il était abruti de sommeil et s’est écroulé sur son lit, là il a eu froid aux pieds, je lui ai mis mes chaussons de nuit. Cinq minutes plus tard, il les avait déjà reposés à côté de son lit. Puis la lumière le dérangeait et il a enfoncé sa tête sous les couvertures. Quand on a éteint la lumière, il a montré tout doucement le bout du nez, c’était trop comique. Ensuite, nous étions en train de dire que Peter appelle Margot la mère Margot, soudain la voix de Papa que nous croyions endormi est montée des profondeurs : « Café », il voulait dire « Mère café ». Muschi (le chat) est de plus en plus gentil et doux avec moi, mais j’ai encore un peu peur de lui.
Anne
DIMANCHE 27 SEPTEMBRE 1942
Chère Kitty,
Aujourd’hui, j’ai eu comme on dit chez nous une « discussion » avec Maman, mais l’embêtant c’est que je ne peux pas m’empêcher de fondre en larmes, je n’y peux rien. Papa est toujours gentil avec moi, et il me comprend bien mieux. Ah, dans ces moments-là, je ne peux vraiment pas supporter Maman et c’est comme si elle ne me connaissait pas, car, vois-tu, elle ne sait même pas ce que je pense des choses les plus anodines. Nous parlions des bonnes, et nous disions qu’on devait les appeler « aides ménagères » et qu’après la guerre, ce serait sûrement obligatoire, mais je n’en étais pas si convaincue, et puis elle a dit que je parle toujours de « plus tard » et que je prends des airs d’adulte, mais ce n’est pas vrai du tout, et j’ai bien le droit de faire des châteaux en Espagne, ce n’est pas si grave, ce n’est pas la peine d’en faire un plat. Papa, au moins, me défend, sans lui j’aurais bien du mal à tenir le coup ici.
Je ne m’entends pas bien non plus avec Margot. Même si dans notre famille, on n’en vient jamais aux éclats de voix comme au-dessus, c’est loin d’être toujours drôle pour moi. Margot et Maman ont des caractères qui me sont si étrangers, je comprends mieux mes amies que ma propre mère, c’est navrant, non ?
Pour la énième fois, Mme Van Daan est mal lunée, elle est d’une
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