Le Journal D'Anne Frank
1942
Chère Kitty,
Cette année, Hanouka et la Saint-Nicolas tombaient presque en même temps, il n’y avait qu’un jour de décalage. Nous avons fêté Hanouka sans beaucoup de cérémonie, échangé quelques surprises et puis allumé la bougie. Comme on manque de bougies, on ne les allume que dix minutes, mais tant qu’il y a des chants, l’ambiance y est. M. Van Daan a fabriqué un chandelier en bois, donc ce problème-là aussi est réglé.
Samedi, le soir de la Saint-Nicolas était beaucoup plus réussi. Bep et Miep avaient piqué notre curiosité en ne cessant de chuchoter avec Papa durant tout le repas, si bien que nous nous doutions qu’il se préparait quelque chose. Et en effet, à huit heures, nous avons tous descendu l’escalier de bois et pris le couloir plongé dans l’obscurité (je tremblais d’effroi et j’aurais voulu me retrouver en haut, en lieu sûr !) pour entrer dans la pièce intermédiaire, où nous pouvions allumer la lumière car elle n’a pas de fenêtre. A ce moment-là, Papa a ouvert le grand placard. Nous avons tous poussé un « Oh, que c’est joli ! ». Dans un coin se dressait une grande corbeille décorée de papier cadeau et surmontée d’un masque de Pierre le Noir. Nous avons vite emporté la corbeille là-haut. Elle contenait un cadeau amusant pour chacun, accompagné d’un petit poème de circonstance. Tu connais certainement les poèmes de la Saint-Nicolas, et je ne vais pas te les recopier. J’ai reçu un bonhomme en brioche, Papa des serre-livres, etc. En tout cas, les idées étaient bien trouvées et comme aucun de nous n’avait jamais fêté la Saint-Nicolas de sa vie, cette première était particulièrement bien venue.
Bien à toi,
Anne
P.-S. Nous avions naturellement aussi des cadeaux pour ceux d’en bas, rien que des choses du bon vieux temps, et quant à Miep et Bep, un peu d’argent ne fait jamais de mal.
Aujourd’hui, nous avons appris que le cendrier pour Van Daan, le cadre à photo pour Dussel et les serre-livres pour Papa ont tous été confectionnés par Voskuyl lui-même. Je n’arrive pas à croire que quelqu’un puisse être aussi adroit de ses mains !
JEUDI 10 DÉCEMBRE 1942
Chère Kitty,
M. Van Daan était autrefois dans le commerce des saucisses, de la viande et des épices. Il a été engagé dans la maison pour ses compétences en matière d’épices, mais maintenant, il nous fait découvrir son côté saucisse, ce qui est loin de nous être désagréable. Nous avions commandé (clandestinement bien sûr) une grande quantité de viande pour la mettre en conserve, au cas où nous connaîtrions des temps difficiles. Il voulait préparer des chipolatas, de la saucisse de Gueldre, et de la saucisse sèche. Le spectacle en valait la peine, les morceaux de viande passaient d’abord au hachoir deux ou trois fois, puis tous les ingrédients étaient mélangés à la masse de viande et introduits dans un boyau à l’aide d’un cornet. Nous avons mangé les chipolatas le midi même avec la choucroute, mais les saucisses de Gueldre, destinées aux conserves, devaient d’abord sécher, et pour cela, on les a accrochées à un bâton, fixé par deux cordes au plafond. Tous ceux qui entraient dans la pièce et apercevaient cette exposition de saucisses éclataient de rire ; il faut dire que c’était une vue des plus comiques. Dans la pièce, c’était une pagaille invraisemblable ; M. Van Daan, affublé d’un tablier de Madame, trônait dans toute sa largeur (il paraissait beaucoup plus gros qu’en réalité) et s’attaquait à la viande, ses mains sanglantes, sa tête rouge et son tablier maculé lui donnaient l’apparence d’un vrai boucher. Madame faisait tout à la fois, apprendre le néerlandais dans son livre, tourner la soupe, surveiller la viande, soupirer et se lamenter sur sa côte cassée. Voilà ce qui arrive aux dames d’un certain âge (!) qui font des exercices de gymnastique les plus idiots pour perdre leur gros derrière !
Dussel avait une inflammation à l’œil et le tamponnait avec de la camomille près du poêle. Pim, assis sur une chaise dans le mince rayon de soleil qui filtrait par la fenêtre, était poussé d’un côté à l’autre ; de plus, ses rhumatismes le faisaient sûrement souffrir car il se tenait plutôt courbé et surveillait les moindres gestes de M. Van Daan d’un air renfrogné. Il ressemblait tout à fait à un petit vieillard
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