Le Journal D'Anne Frank
est trop superficielle, aime flirter et ne s’inquiète guère des pensées de Peter. La mienne s’occupe beaucoup de moi, mais n’a aucun tact, aucune finesse de sentiment, aucune compréhension maternelle.
Peter et moi sommes tous deux aux prises avec notre vie intérieure, nous sommes tous deux encore peu sûrs de nous et au fond trop tendres et trop doux de l’intérieur pour être maniés aussi rudement. Alors il m’arrive de vouloir me sauver, ou de vouloir cacher mes sentiments, je renverse de l’eau partout, j’entrechoque les casseroles et fais du tapage, si bien que tout le monde souhaiterait me voir ailleurs.
Lui se renferme, ne parle presque pas, reste silencieux et rêve, et fait de la sorte autant d’efforts pour se cacher.
Mais quand et comment finirons-nous par nous rejoindre ?
Je ne sais pas combien de temps encore je pourrai maîtriser ce désir par la raison.
Bien à toi,
Anne M. Frank
LUNDI 28 FÉVRIER 1944
Très chère Kitty,
Cela devient un cauchemar de la nuit et du jour. Je le vois à toute heure ou presque et ne peux l’approcher, je n’ai le droit de rien montrer à personne, il faut que je sois gaie quand tout en moi est désespoir.
Peter Schiff et Peter Van Daan se sont fondus en un seul Peter, qui est bon et gentil et dont j’ai terriblement besoin. Maman est affreuse, Papa est gentil et par là encore plus insupportable, Margot est la plus insupportable de tous, parce qu’elle prétend qu’on lui fasse bonne figure et que je veux avoir la paix.
Peter n’est pas venu me rejoindre au grenier, il est allé dans les combles pour y bricoler un peu avec du bois. A chaque craquement et à chaque coup de marteau tombait un morceau de mon courage et je devenais plus triste encore. Et dans le lointain, un carillon jouait : « Le corps droit, l’âme droite ! »
Je suis sentimentale – je le sais. Je suis désespérée et déraisonnable —je le sais aussi. Oh, aide-moi.
Bien à toi,
Anne M. Frank
MERCREDI 1er MARS 1944
Chère Kitty,
Mes problèmes personnels se sont retirés au second plan et ce, du fait… d’un cambriolage. Je deviens monotone avec mes cambriolages, mais est-ce ma faute à mol si les cambrioleurs prennent tant de plaisir à honorer Gies & Co de leur visite ? Ce cambriolage-ci est beaucoup plus compliqué que le précédent, de juillet 1943.
Hier soir, lorsque M. Van Daan est descendu comme à son habitude à sept heures et demie dans le bureau de Kugler, il a vu que la porte de communication vitrée et celle du bureau étaient ouvertes. Cela l’a étonné, il a continué et son étonnement a grandi quand il a trouvé ouvertes les portes du cabinet et un fouillis indescriptible dans le bureau de devant. « Un voleur est passé par ici », pensa-t-il en un éclair, et pour en avoir aussitôt le cœur net, il descendit l’escalier, empoigna la porte d’entrée, tâta la serrure Lips (1), tout était fermé. « Oh, il faut croire que Bep et Peter ont été très négligents ce soir », supposa-t-il alors. Il demeura un moment dans le bureau de Kugler, puis éteignit la lampe, remonta et ne songea plus guère aux portes ouvertes, ni au fouillis du bureau de devant.
Ce matin, Peter a frappé de bonne heure à notre porte et nous a annoncé une nouvelle pas trop réjouissante : la porte d’entrée était grande ouverte. En outre, il nous rapporta que l’appareil de projection et le nouveau porte-documents de Kugler avaient disparu du placard. Peter fut chargé d’aller fermer la porte, Van Daan fit part de ses constatations de la veille au soir et nous étions fort inquiets.
Toute l’affaire ne peut avoir qu’une seule explication : le voleur possède un double de la clé de la porte, car celle-ci n’avait pas du tout été forcée. Il a dû se glisser ici très tôt dans la soirée, a refermé la porte derrière lui, a été dérangé par Van Daan ; il s’est caché jusqu’à son départ, puis a fui avec son butin en laissant la porte ouverte dans sa hâte.
Qui peut bien avoir notre clé ? Pourquoi le voleur n’est-il pas allé à l’entrepôt ? Le coupable serait-il l’un de nos propres magasiniers et ne va-t-il pas nous trahir, à présent qu’il a entendu et peut-être même vu Van Daan ?
C’est vraiment très inquiétant, parce que nous ne savons pas si le cambrioleur en question ne va pas se mettre en quête de rouvrir notre porte une autre fois, à moins
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