Le lever du soleil
ces belles mains d'étrangleuse des sierras près du visage de Gondi afin qu'il les vît mieux et sa voix gronda :
- Lui et tous ceux qui...
Gondi recula, le Roi se retint de rire. Observa Mazarin chuchoter deux mots à l'oreille de sa mère qui se radoucit.
L'affaire méritait réflexion.
Mazarin endormit Gondi sous des flots de paroles qui se contre-disaient mais par lesquelles l'esprit échauffé quoique fin du coadjuteur se laissa bercer :
- Il n'est que vous, Monsieur, qui pouvez faire cesser l'émotion.
- qu'elle cesse en effet, dit la Reine non plus radoucie, mais doucereuse, et nous libérerons Broussel. Et cela au nom du Roi.
Gondi avait oublié celui-ci. Mon Dieu, c'est vrai, il existe un Roi aussi.
Et rochet et camail au vent, porteur de nouvelle, distribuant bénédictions, donnant sa bague à camée à baiser comme bague épiscopale, François Paul franchit la foule, harangua, promit, s'enfla de la promesse de libération par lui extorquée alors que l'idée venait d'un capitaine bougon, et tomba sur La Meilleraie à la tête de chevau-légers prêts, lui semblait-il, à le soutenir, ou à le tuer au premier faux pas.
" Liberté à Broussel et vive le Roi ! " criait-on, mais on prenait les armes au lieu d'effondrer les barricades.
" Ah Paris, comme je t'aime ", pensait Paul heureux en son tumultueux diocèse.
Un coup de pistolet tiré par le maréchal cassa la tête d'un cro-
cheteur qui le menaçait d'un sabre. A ses côtés, le marquis de Fontrailles fut blessé au bras en se portant au-devant d'un vilain armé d'un mousquet. Gondi jugea temps de s'interposer. On finit par le reconnaître, selon le dessein même de cette vêture de grande cérémonie.
" Vive monsieur le Coadjuteur ! "
IL n'est pas de parole plus douce. Gondi mena la troupe des émeutiers vers les Halles, les alentours du Palais royal étaient libérés et La Meilleraie sauvé. Il fit déposer les armes, vieilles pétoires et sabres ébréchés, et songea qu'il devait séance tenante retourner au lieu du pouvoir suprême narrer sa belle action.
Le peuple le suivit à pas moins de quarante mille têtes, plus ou moins apaisées. La Meilleraie l'attendait aux barrières, l'embrassa et le mena lui-même chez la Reine qui tenait conseil en son cabinet.
- Voici celui, Madame, dit le maréchal, à qui je dois peut-
être la vie, mais à qui Votre Majesté doit s˚rement la s˚reté de son palais.
La Reine sourit, de ce sourire que Louis le Muet savait moqueur, et plein de future vengeance. Le sourire qu'on donne à
une Lansac, à un Chavigny avant de les chasser.
Gondi atténua l'éloge du maréchal :
Non, Madame, il ne s'agit pas de moi qui vous visite ici, mais de Paris soumis et désarmé qui se vient jeter aux pieds de Votre Majesté.
- Il est bien coupable et bien peu soumis, monsieur le Coadjuteur, répondit la Reine aux joues flambantes, et s'il a été si furieux qu'on l'a dit, comment s'est-il radouci en si peu d'heures ?
Louis admira la logique de Maman.
Gondi ouvrit la bouche, un geste de la main de la Reine la lui ferma.
- Allez vous reposer, Monsieur, vous avez bien travaillé.
Gondi enragea, le roi Louis s'en aperçut et lui sourit avec un coquin petit geste d'adieu de la main.
Gondi sortit en se demandant ce que lui avait signifié ce gamin.
Au souper chez la Reine et en présence de Louis, que la Régente ne voulait pas éloigné de plus de dix pas d'elle en cette période, on moqua sérieusement Gondi. Deux heures entières de raillerie, de bouffonnerie, d'imitation de sa myopie, on se noircit même le visage au bouchon br˚lé à une chandelle, de fausse compassion de Mazarin, de perfidies cruelles, d'éclats de rire de Sa Majesté. Louis se pensait au thé‚tre en une de ces nouvelles comédies des médisances qui paraît-il faisaient les beaux soirs de l'hôtel de Bourgogne.
^ Le gamin selon Gondi avait senti le peuple et son odeur fauve.
Et vu le mensonge à l'úuvre.
Il se moquait bien qu'on rendît ou non Broussel à la populace.
Le 24 octobre la guerre de Trente Ans prit fin en Westphalie, dans les villes de Munster et d'Osnabruck. Mazarin avait bien agi et rétabli la paix avec l'Empire. Anne d'Autriche était en paix avec la moitié de sa famille. Restait l'Espagne...
Louis se fit expliquer par son parrain tous les codicilles de ces traités. Il régnait désormais sur la haute et basse Alsace, sur Brisach et Philipbourg, belles places sur le Rhin, sur les Trois Evêchés de Toul,
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