Le lever du soleil
Metz et Verdun, sur la Décapole et sur Haguenau.
Paris n'en fit pas compliment à Mazarin, qui pourtant l'e˚t mérité.
Gondi s'occupait lui aussi à étendre son royaume, sur les mécontents du Parlement, les dévots, les membres de la Compagnie du Saint-Sacrement qui auraient bien br˚lé Ninon de L'Enclos, héritiers de cette Ligue qui déclencha un massacre de protestants et assassina un Roi, il enjôla le prince de Conti, frère du Condé victorieux, et sa súur Anne Geneviève, duchesse de Longueville. On la disait incestueuse, elle était superbe, comme une héroÔne de roman à clef. Il reçut même un député d'Espagne comme s'il était à lui seul un gouvernement. Gondi gouvernait un fantôme, son propre fantasme.
On l'avait moqué deux heures chez la Reine et le Mazarin, et toutes les perfidies et, ce qui est pis, toutes les vérités lui avaient été rapportées. Pendant un an, il ourdit, le Palais royal allait voir qui était le maître de Paris !
Le Palais royal ne vit rien.
Par une nuit de janvier, la nuit des Rois la bien nommée, Gondi ignora qu'existait plus ingénieux que lui : Guitaut, qu'il traitera en ses Mémoires de sot et d'esprit commun ; et Anne d'Autriche, qu'il jugeait indolente et un peu lente quant à l'intelligence.
Guitaut l'omniprésent et qui aimait sa Reine et son Roi ; et avec d'Artagnan protégeait le Cardinal. L'esprit fécond mais brouillon de Gondi n'aurait pu machiner ni moudre une telle merveille de tromperie et d'organisation.
Les bruits disaient que la Reine allait éloigner le Roi de Paris.
Paris voulait garder son jeune Roi, par respect mais aussi en otage.
On espionnait, on écoutait, on chuchotait. On ne trouvait rien.
Ce soir d'hiver glacé, la Reine et Mazarin se séparèrent. Le ministre soupait et jouait - donc trichait, sauf que ce soir-là il ne tricha pas, ce qui e˚t pu mettre puce à quelque oreille - chez le maréchal de Gramont. L'esprit préoccupé d'autre machination, Mazarin acceptait de perdre en cette partie de bassette pour mieux gagner ailleurs.
La Reine recevait en ses appartements avec les courtisans et ses deux enfants. Elle proposa qu'on tir‚t les Rois. On apporta brioches aux fruits et galettes à la Gaston (fourrées de frangipane).
On banda les yeux de Marie de Hautefort qui désigna à qui allait chaque part. La fève échut à la Reine sous les applaudissements de circonstance d'une Cour conquise par tant de légèreté en une période grave, et ceux, plus sincères, du petit Roi, qui abandonna toute gravité pour s'aller agenouiller aux pieds de Maman et baiser le bas de sa robe en toute humilité pendant que Féfé (le duc d'Anjou redevenait Féfé dans les moments de calme et d'affection ou de fête), empruntant un manteau de duc adulte et s'en faisant un surplis d'archevêque, couronnait l'heureuse élue par le sort d'une tiare babylonienne de carton doré.
- Il nous faut de l'hypocras, cria Louis, la Reine a soif !
On passa les verres, les coupes, les gobelets, et Louis XIV, bon échanson des temps anciens, clama :
- La Reine boit !
Anne souriante trempa ses lèvres dans une coupe de vermeil avant de la présenter à son fils pour qu'il y go˚t‚t une gorgée. On s'amusait. Les bruits d'une revanche du Palais royal sur Paris étaient oubliés. La Reine fit coucher ses enfants par Mme de Sénecey, Mme de Beauvais et le fidèle La Porte. On salua leur sortie avec encore plus de pompe qu'à l'ordinaire, le duc d'Anjou et le Roi lui-même s'en amusèrent, outrant la noblesse de leur port et se laissant aller à envoyer des baisers aux dames et de grands saluts aux messieurs. On les jugea merveilleux.
La Reine vécut ainsi sa soirée à l'espagnole, c'est-à-dire fort tard, nonchalante, accoudée à une table de marqueterie, infante au milieu de ses nains, écoutant chansons et ragots, et se déclara lasse vers une heure. Le ruban des courtisans s'effilochait au fil du temps, allant à d'autres plaisirs, rapportant ailleurs que le Palais royal allait s'endormir jusqu'au lendemain o˘ nul ne savait ce qu'il adviendrait de Paris.
A deux heures, la Reine quitta son lit. Fit réveiller ses fils.
On descendit au jardin par l'escalier dérobé de ses appartements. Deux carrosses attendaient. Dans le second prirent place le maréchal de Villeroy, précepteur du Roi, Guitaut et Comminges son lieutenant, un autre capitaine des gardes, Villequier, Mme de Beauvais, cette Cathau la Borgnesse, qui se rendrait bien utile. On
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