Le lever du soleil

ses gardes, bien obligé.
    Et puis la guerre est moins ennuyeuse que la chasse.
    Le Roi veut que son fils, que l'on n'emmaillote plus car il n'est plus nourrisson, qui porte bonnet de satin, robe de dentelles armo-riées et un petit cordon bleu de Saint-Louis, assiste à son départ.
    Il fait grand soleil, clair et lumineux dans un ciel pommelé
    comme seule sait en produite l'Ile-de-France en mai. Comme dans sa chanson ancienne. Les casaques à trois volants des mousquetaires jouent dans le vent des reflets de leurs croix d'argent sur la grande esplanade du Ch‚teau Neuf de Saint-Germain.
    Louis paraît, vêtu de sombre, galonné d'argent, il a banni l'or de ses uniformes.
    Vive le Roi !
    Deux régiments le crient à l'unisson, les mousquetaires et les gardes, mer bleu, mer rouge.
    La Reine apparaît suivie de Mme de Brassac, de Mme de Lansac, de Mme de Sénecey, de Guitaut qui regarde, nostalgique ou heureux, on ne sait trop ce que pense ce grand taiseux, ces quinze cents cavaliers en si bon ordre de marche. Puis vient un huissier portant Mgr le Dauphin. C'est La Chesnaye monté en grade après son renvoi éphémère.
    L'enfant regarde de tous ses yeux, de toute son ‚me le flot de couleurs vives et de chevaux hennissants.
    Cinq-Mars met pied à terre, s'avance, présente ses gardes au Roi. Il est vêtu de gris tourterelle doublé d'écarlate, d'un jabot de soie noué à la dernière mode, à la croate, ses gants sont brodés de faucons d'argent, une grande écharpe blanche de commandement barre sa poitrine. Des dentelles en cascade retombent sur ses bottes souples d'Italie aux éperons d'argent.
    Il salue de son chapeau à triple panache réservé aux gardes du Roi. Il avance vers le Dauphin et dit dans son plus terrible sourire :
    - Dieu vous protège, Monseigneur, pendant que je mène à la guerre Sa Majesté votre père.
    Le bambin lui tend la main, le gant au faucon du gandin le frôle, le bébé lui saisit l'index. Il rit et secoue le doigt comme il fait de ses hochets.
    Le Roi s'approche en riant et détache la main de son fils du doigt de son favori.
    - Laissez, mon fils, le marquis de Cinq-Mars qui s'en va se battre pour l'amour de vous.
    Le Roi pose un baiser sur le front de son fils. Le bambin grimace sous la caresse piquante de la moustache. Louis sourit.
    - Soyez sage, mon fils. Nous vous rapporterons des drapeaux pour orner vos appartements.
    Et le Roi s'incline devant la Reine, lui baise la main, qu'il retient dans son gant noir, fixe sa femme au fond des yeux.
    - Souhaitez-moi la victoire, Madame.
    Elle lui donne la révérence, relève ses yeux verts à hauteur du regard noir adouci :
    - Sire, je vous souhaite la vie.
    Louis monte à cheval, négligeant Terrier que lui tend l'écuyer, se campe fièrement, soulève son chapeau. Louis le Malade a disparu derrière Louis le Guerrier.
    Une nouvelle fois, il part faire la guerre dans les terres du Nord, en Picardie, contre ses trois beaux-frères, l'empereur, le roi d'Espagne, le Cardinal-Infant.
    Les frères de sa femme.
    Les oncles de son fils.
    Les tambours battent.
    - Boum, boum, boum, scande Mgr le Dauphin qui bat des mains.
    On s'esclaffe, on s'émerveille.
    Aux premières heures de l'après-midi, Mme de Brassac écrira son rapport circonstancié à Son Eminence.
    Son Eminence le lendemain fera porter en cadeau à Mgr le Dauphin un tambour paré de bleu aux armes de la Royauté.
    Il est tranquille à Rueil. Il soupire. Sans Louis l'Attendri, heureux d'être avec ses armées, sans Cinq-Mars qui, malgré ses défauts, saura s'y conduire, et peut y mourir, Son Eminence le cardinal-duc de Richelieu, principal ministre du roi de France, va entreprendre la lourde et importante t‚che de terminer son grand ménage entrepris dans les deux ch‚teaux de Saint-Germain.
    Il ne s'agit plus de préserver ses quatre pieds carrés dans le cabinet du Roi mais de conquérir le pouvoir sur le Fils de France.
    Bataille plus hasardeuse que la prise de Hesdin.

    LES CADEAUX DE SON EMINENCE
    Forte fièvre et grandes diarrhées, le Dauphin souffrait, les joues en flammes, la bouche baveuse. On s'excédait au Ch‚teau Vieux à changer l'enfant, le laver, le baigner dans l'eau tiède, à l'enduire de vin miélé ou d'huile d'amande, à lui passer sur les lèvres un électuaire à la corne de cerf, les médecins parlaient latin, Guitaut les écoutait et boitait.
    Sa cuisse ne lui pardonnait pas sa traversée des fascines sous la mitraille pour ouvrir un chemin au Roi