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Le lever du soleil

Le lever du soleil

Titel: Le lever du soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Dufreigne
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à Corbie. Guitaut n'était pas mécontent de commander ici à la garde du futur roi. Tant pis pour les éclats de gloire à récolter en Picardie. Gassion connaissait son métier. Guitaut avait pris bien des étendards, forcé bien des brèches, couvert de son corps et de ses soldats la personne du Roi, parfois celle du Cardinal. Ici il fallait protéger le Dauphin.
    Aimable gloire au milieu d'aimables dames.
    Les Grands rapaces rôdaient tout autour du Ch‚teau Vieux comme requins autour d'un vaisseau marchand. Un sien neveu lui avait conté des histoires de marins.
    Guitaut accompagnait Mme de Sénecey, désormais dame sans titre et qui s'installait dans un rôle de " marraine " du Dauphin.
    Devant les médecins outrés, elle ouvrit la bouche de l'enfant en lui disant des mots doux, promena un doigt fin et pommadé sur la gencive de Louis Dieudonné.
    - La belle maladie que voilà ! Le Dauphin met trois dents d'un coup ! Sa future Majesté sera un monarque qui n'aimera pas perdre son temps.
    Guitaut la salua :
    - Vous êtes le meilleur médecin de France.
    - Peut-être suis-je le seul à aimer mon patient plus qu'Aris-tote, le latin et moi-même.
    Guitaut frisa sa moustache ; pourquoi ne pas épouser Mme de Sénecey ? Il était de trop petite noblesse, mais avait belle renommée. Et quand le regard de cette rieuse amie de la Reine se posait sur lui, sur ses bottes, sur son chapeau au triple panache, il s'attar-dait. Il rompit. Non, trop vieux, trop solitaire, trop rugueux.
    Mme de Sénecey le suivit des yeux. Timidité de héros en temps de paix. Cela lui plaisait bien. Elle revint au Dauphin.
    L'enfant était calmé. Mme de Sénecey fit quérir un os de poulet aux cuisines, un os tendre du pilon, un os trop cuit ; elle en frotta la gencive, le bambin trouva cela bon et saisit lui-même le pilon qu'il enfourna dans sa bouche, et serra les m‚choires sur ce b‚ton tendre et juteux quand il était bien trempé de salive.
    Après la nuit de pleurs, la fièvre tomba, le sourire revint, les joues ne rougeoyèrent plus, Louis le Jeune comptait quatre petites perles carrées visibles à son premier sourire de la matinée.
    Mme de Lansac, après avoir protesté qu'une personne non désignée eut soigné le Dauphin, recula mollement devant le regard vert d'Anne, et fut séduite par la nouvelle bouche de l'enfant dont les lèvres ourlées venues de Papa et de Maman s'ouvraient en babillant sur les quatre minuscules miracles de porcelaine, joua avec ce Dauphin qui n'était plus une charge, l'espace d'un instant fugace, mais un ravissement.
    L'air se fit plus doux au premier étage du Ch‚teau Vieux. Ce qui était confinement entre les murs de la méfiance, les grilles des énervements, devint brise en accord avec le beau temps qui armo-riait les parterres de Saint-Germain. La Reine était heureuse des dents de son fils et s'installa plus longtemps dans sa chambre du Ch‚teau Vieux afin de profiter de ce petit bonheur trop rare en France. Mme de Brassac rédigea vite une lettre qui galopa jusqu'à
    Rueil, o˘ souffrait le Cardinal.
    Richelieu se félicita que l'enfant soit bien portant et montr‚t par cette dentition toute neuve et fort impatiente une vigueur qui lui permettrait d'affronter les maladies qui assiégeaient tout nouveau-né. Celui-ci vivrait. Certes, le bambin installait la Reine dans une perpétuité, mais une perpétuité de mère de France et non d'infante d'Espagne.
    La Reine en effet avait l'esprit et le cúur pleins de son gentil Dauphin. Son fils remplaçait ses frères et beaux-frères, oubliés aux frontières du Sud, du Nord et de l'Est. Le choix était fait : armés jusqu'aux dents en Roussillon, en Alsace, en Picardie, ils menaçaient l'avenir et les biens de son fils ; elle ne les traitait pas encore en ennemis, mais en cousins éloignés et voraces. La bataille que Richelieu lui avait laissé gagner contre une nourrice montrait que la reine Anne d'Autriche s'était muée en Anne mère de Roi. Elle s'oubliait Habsbourg par amour d'un bourgeon de Bourbon. En fait, l'abandon de la nourrice avait été un bon investissement.
    Une phrase de la comtesse de Brassac retint aussi l'attention du
    " monstre " ; elle concernait des regards échangés et un " début d'amitié " entre le comte de Guitaut et Mme de Sénecey. Guitaut ne trahirait pas ; du moins pas tout de suite, mais pouvait succomber à un sentiment que Son Eminence prévoyait encombrant.
    Il s'agirait d'exiler la Sénecey.
    Sacré Guitaut

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