Le lever du soleil
qu'il en recherchait les premières notes ce matin sur le chemin qui le menait en grand équipage vers la forêt de la Laye.
Il suffirait d'un rien pour que tout aille bien entre ces deux-là
autour du berceau de l'enfant futur roi.
Si le Roi meurt, elle, mère du nouveau Roi, sera aussi puissante que l'homme en rouge tout aussi malade que son maître et esclave.
Et Monsieur se verrait bien régent et Monsieur le Grand principal ministre, ou connétable... L'évêque de Lisieux son confesseur lui a affirmé que désormais elle était " pleinement reine ". Mme de Sénecey l'a confirmé, mais elle est une si fidèle amie et trop bonne catholique pour ne pas être du parti espagnol, surtout trop parente de La Rochefoucauld pour ne pas être trop intelligente. Un autre Monseigneur, l'évêque de Bordeaux, a également renouvelé ce sacre verbal. Mais il est l'oncle de Louise Angélique de La Fayette. S'ils avaient raison, si la peur était terminée comme toute menace de répudiation. Si une sorte de règne commençait...
Elle doit s'endurcir alors. S'intéresser, ne plus intriguer. Observer ; les jauger ; les dominer.
L'ambition les mène, ils n'ont aucun sentiment ; elle en a encore. Il faut qu'elle se reprenne, ne paresse plus, s'occupe de son fils, se préoccupe de la France autrement qu'autrefois. Cette France que Petit Louis héritera. Si seulement La Porte était là !
Déjà il n'est plus à la Bastille mais près de Saumur o˘ le vin est bon et la Loire si belle sous ses ciels de tarlatane. Elle se souvient des séjours à Amboise ou à Blois, chez son beau-frère Monsieur, et des aubes saisies par la fenêtre quand elle se levait tôt, comme autrefois jeune infante à la vie secrète dans une forteresse endormie.
Une petite fille oubliée resurgit, immortelle, devant l'image d'un petit garçon né d'elle.
Mais la reine Anne, mère de Roi plus qu'épouse de Roi, fille de Roi, arrière petite-fille d'Empereur, n'a plus de volonté. La reine Anne se laisse aller.
Stéphanille n'aurait jamais d˚ mourir. Un souvenir passe en tornade sur l'‚me de la Reine dans son oratoire, un grand vent d'Espagne, fier, ardent, br˚lant. Un vent de nuit d'été, celui des guitares madrilènes quand son jeune mari ne sut que chanter la brise des mois de mai. Un vent d'Empire allant des Amériques aux Flandres et à l'Italie. Ce vent-là est dans ses poumons, ce sang de conquérants coule dans ses veines, et la Reine fait du lard en se complaisant à paresser.
Pourtant l'arbre desséché des Habsbourg a produit cette fleur qui croît même à l'ombre d'un époux tuberculeux et neurasthé-nique, et qui protège la graine d'une race plus forte et plus vigou-reuse. Une race qui dévore ses nourrices, et lui redonne confiance en elle après les terreurs incessantes de la stérilité.
Elle n'a même pas prié, à genoux sur le velours rouge, derrière les grilles dorées de son oratoire, la mantille sur la tête. L'autel est couvert d'une dentelle de soie, les cierges br˚lent.
Non elle n'a pas prié, elle a pleuré sur elle, sa solitude, les espions qui l'entourent, sa disgr‚ce, ses malheurs qui lui tiennent lieu de vertu. Stéphanille...
Madrid. Elle est enfant. Stéphanille la berce après l'avoir gron-
dée. Elle la tient sur ses genoux, elle l'Infante, elle la tient ainsi en cachette contre toute l'étiquette de cette cour rugueuse d'Espagne plus militaire qu'un régiment de tercios. Stéphanille la tient en l'enlaçant sur ses genoux, lui sèche les larmes en fredon-nant une chanson sur le Roi David ; se rappelle-t-elle encore les paroles ? Presque. A peu près.
Car à l'image de notre enfance,
Comme nous il a grandi,
Il était petit, faible et désarmé,
Comme nous il connaissait les sourires et les larmes.
En castillan, c'était ravissant.
La Reine se lève du prie-Dieu. Pourquoi donc en ce matin lui reviennent ainsi des chansons ?
Le cri jaillit, faible pourtant, rauque d'émotion venue d'ailleurs, mais cinglant comme le vent des sierras de Castille quand l'hiver approche. Ici l'hiver s'enfuit.
- Je veux mon fils ! Nino mio !
quand la Reine crie en castillan, nul n'a le temps de lanterner.
- Non, Mesdames, qu'on ne me l'amène pas, je vais visiter Mgr le Dauphin dans ses appartements.
Elle quitte le Ch‚teau Neuf et dans le froid monte la grande allée vers le Ch‚teau Vieux, résidence forteresse du futur roi.
Elle arpente les corridors, les antichambres, on se lève à son approche, elle
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