Le lever du soleil
franchit les portes dont on n'a pas le temps d'ouvrir les deux battants, nul n'a le temps d'annoncer la Reine. Elle est déjà là, dans les appartements tendus de damas qui fut blanc.
Elles bavardent et pérorent, elle les traverse comme une renarde un poulailler. La volaille de soie, de satin, de brocart bat des ailes et s'affole.
Il dort, il est sale. Ses joues mouillées de larmes.
En elle l'Espagnole hurle ! la Reine crie et tempête. Elle gifle quelqu'un qui ose la vouloir calmer.
Le Dauphin s'éveille, pleurniche, la voit, sourit. Il est dans ses bras. Contre elle.
- Restez toutes ici, loin de ma vue. Le Dauphin s'installe désormais dans mes appartements. Perrette, vous seule suivez-moi.
Et la Reine en carrosse sans ses dames, simplement avec Perrette, emmène en promenade Mgr le Dauphin, Petit Louis son fils, dans les jardins, et lui énonce les noms des fleurs d'hiver qui malgré le froid ornent les parterres des nuances de bleu et des nuances de blanc.
Car il n'est pas qu'un seul blanc, voit l'enfant, tout à coup heureux, le nez rougi par les derniers frimas d'un printemps qui s'annonce.
Le jaune des perce-neige arrive en une vague, au dernier parterre devant l'esplanade d'o˘ de bons yeux aperçoivent Paris.
Mgr le Dauphin gigote, ravi.
La Reine est radieuse, ces terrasses à perte de vue, qui descen-dent vers la Seine et la forêt giboyeuse, lui sont tout à coup les terrasses anciennes d'une enfance oubliée, les terrasses de l'Alca-zar d'o˘, avec Stéphanille, elle contemplait Madrid et le Manzarenes.
Perrette a la larme à l'úil, les derniers gels valent la plus chaude émotion. Perrette voit une mère. Cet enfant qu'elle attache à son sein qu'il meurtrit a vraiment une Maman. La Reine a mis pied à
terre, tient l'enfant contre elle et sa chaleur, le recouvre d'un ch‚le.
- Chaque jour, mon fils, Maman vous promènera. Les beaux jours arrivent, vous verrez les hérons, les hirondelles, les fruits et les fleurs resplendiront. Vous vivrez dans la beauté. Consacrez-lui votre vie.
Le soir même Louis Dieudonné, Dauphin de France, dormit dans ses draps troués que personne ne pensait à changer. Chacun déléguant à son délégué qui déléguait lui-même au lendemain c'est-à-dire à jamais.
Henri a dix-neuf ans et paraît un enfant. Jamais enfant n'obtint tant de charges en si peu de temps. Il est marquis, Grand …cuyer, Maître de la Garde-Robe, commande une compagnie des gardes, charge qu'il laisse à son lieutenant. Henri Coiffier dit Ruzé, marquis de Cinq-Mars, règne aussi sur le cúur du Roi.
Il est riche et ne donne rien au Roi en échange des milliers de livres qu'il en reçoit. Sinon sa présence insolente. Il est la vie, le monarque qui lui paraît centenaire a sur lui l'odeur de la mort qui le grignote. Son haleine est un enfer, une rue de Paris qui se néglige, et Cinq-Mars s'interdit de grimacer.
La nuit Henri passe par les fenêtres, fait seller son cheval et galope à Paris faire l'amour et la fête avec Marion de L'Orme.
Il déteste chasser au matin avec Sa Majesté. La chasse, cette forme d'amour, la seule que le Roi sache partager et que toutes ses inclinations, ses amitiés comme il dit, ont détestée : Marie de Hautefort, Louise Angélique de La Fayette et maintenant Henri de Cinq-Mars.
A cet enfant-là, la tristesse du roi, sa traque des renards, ses vols de pies-grièches, sont insupportables. Il est impatient. Et la tendresse de son ‚ge lui fait remarquer la Reine, une mère, un pouvoir, un avenir aussi par le Dauphin auquel il s'attacherait bien si Marion de L'Orme, que les esprits libertins nomment déjà
Madame La Grande, ne lui prenait pas son temps, n'occupait pas toujours ses pensées, celles qui viennent du corps, comme lui assiège et conquiert son lit. Et la Reine, à l'esprit fin, remarque ses intentions et ne se déplaît pas en sa compagnie, à ses furtives apparitions au sourire éclatant. Elle sourit à M. de Cinq-Mars. Une nouvelle crainte l'a assaillie : elle sait que le Cardinal songe à
demander la tutelle de l'enfant, de son Petit Louis. Elle ne sera plus rien qu'avoir été un ventre. Elle préférerait de beaucoup Cinq-Mars, le beau, le brillant, le charmant. Il la traitera en reine, il la traitera en femme. Alors la Reine flatte Monsieur le Grand.
Le Cardinal est mécontent de son " arme secrète " tenue ainsi en réserve depuis quatre ans. Il s'est trompé. Il a vieilli. Sa poigne de fer sur la France et les ennemis de ce
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