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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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héritier de France, était
gravement malade ; et même Philippe VI, disait-on, subissait des
ennuis de santé. Peut-être les maléfices de Robert n’avaient-ils pas été
totalement inopérants…
    Pour retourner en Flandre, Robert
prit des habits de convers. Étrange frère, en vérité, que ce géant dont le
capuchon dominait les foules, qui entrait d’un pas guerrier aux abbayes, et
demandait l’hospitalité qu’on doit aux hommes de Dieu de la même voix qu’il eût
demandé sa lance à un écuyer !
    Dans un réfectoire de Bruges, la
tête inclinée sur son écuelle, au bout de la longue table grasse, et faisant
mine de murmurer des prières dont il ignorait le premier mot, il écoutait le
frère lecteur, installé dans une petite niche creusée à mi-hauteur du mur, lire
la vie des saints. Les voûtes renvoyaient la voix monotone sur la tablée des
moines ; et Robert se disait : « Pourquoi ne pas finir ainsi ?
La paix, la profonde paix des couvents, la délivrance de tout souci, le
renoncement, le gîte assuré, les heures régulières, la fin de l’errance… »
    Quel homme, fût-ce le plus
turbulent, le plus ambitieux, le plus cruel, n’a pas connu cette tentation du
repos, de la démission ? À quoi bon tant de luttes, tant d’entreprises
vaines, puisque tout doit s’achever dans la poudre du tombeau ? Robert y
songeait, de la même façon que, cinq ans plus tôt, il songeait à se retirer,
avec sa femme et ses fils, dans une tranquille vie de seigneur terrien. Mais ce
sont là pensées qui ne peuvent durer. Et chez Robert elles se présentaient
toujours trop tard, à l’instant même où quelque événement allait le rejeter
dans sa vocation véritable, qui était l’action et le combat.
    Deux jours plus tard, à Gand, Robert
d’Artois rencontrait Jakob Van Artevelde.
    L’homme était sensiblement du même
âge que Robert : l’approche de la cinquantaine. Il avait le masque carré,
la panse forte et les reins bien plantés sur les jambes ; il était fort
mangeur et buveur solide, sans que jamais la tête lui tournât. En sa jeunesse,
il avait fait partie de la suite de Charles de Valois à Rhodes, et accompli
plusieurs autres voyages ; il possédait son Europe. Ce brasseur de miel,
ce grand négociant en draps, s’était, en secondes noces, marié à une femme
noble.
    Hautain, imaginatif et dur, il avait
pris grande autorité, d’abord sur sa ville de Gand, qu’il dominait
complètement, puis sur les principales communes flamandes. Lorsque les foulons,
les drapiers, les brasseurs, qui constituaient la vraie richesse du pays,
voulaient faire des représentations au comte ou au roi de France, c’était à
Jakob Van Artevelde qu’ils s’adressaient afin qu’il allât porter leurs vœux ou
leurs reproches d’une voix forte et d’une parole claire. Il n’avait aucun
titre ; il était messire Van Artevelde, devant qui chacun s’inclinait. Les
ennemis ne lui manquaient pas, et il ne se déplaçait qu’accompagné de soixante
valets armés qui l’attendaient aux portes des maisons où il dînait.
    Artevelde et Robert d’Artois se
jugèrent, se jaugèrent du premier coup d’œil pour gens de même race, courageux
de corps, habiles, lucides, animés du goût de dominer.
    Que Robert fût un proscrit gênait
peu Artevelde ; au contraire, ce pouvait être aubaine pour le Gantois que
la rencontre de cet ancien grand seigneur, ce beau-frère de roi, naguère
tout-puissant, et maintenant hostile à la France. Et pour Robert, ce bourgeois
ambitieux apparaissait vingt fois plus estimable que les nobliaux qui lui
interdisaient leur manoir. Artevelde était hostile au comte de Flandre, donc à
la France, et puissant parmi ses concitoyens ; c’était là l’important.
    — Nous n’aimons pas Louis de
Nevers qui n’est demeuré notre comte que parce qu’au mont Cassel le roi a
massacré nos milices.
    — J’y étais, dit Robert.
    — Le comte ne vient parmi nous
que pour nous demander l’argent qu’il dépense à Paris ; il ne comprend
rien aux représentations et n’y veut rien comprendre ; il ne commande rien
de son chef, et ne fait que transmettre les mauvaises ordonnances du roi de
France. On vient de nous obliger à chasser les marchands anglais. Nous ne
sommes point opposés, nous, aux marchands anglais, et nous nous moquons bien
des différends que le roi trouvé peut avoir avec son cousin d’Angleterre au
sujet de la croisade ou du trône d’Écosse ! À

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