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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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de sa face, et la
méchanceté des sentiments qui l’animaient du réveil au soir, et jusque dans ses
rêves, avait donné à ses traits leur expression définitive. Mais, en même
temps, l’aventure lui rajeunissait l’âme. Il avait l’amusement de goûter, en
ces pays nouveaux, à des nourritures nouvelles, à des femmes nouvelles aussi.
    Si Liège l’expulsa, ce ne fut pas
pour ses méfaits anciens mais parce que son Gillet et lui-même avaient
transformé une maison louée à un certain sieur d’Argenteau en vrai repaire de
follieuses, et que le bruit qui s’y faisait gâtait le sommeil du voisinage.
    Il y avait de bons jours ; il y
en avait de mauvais, comme celui où il apprit que le Frère Henry de Sagebran,
avec ses parchemins à dormir pour l’éternité, s’était fait arrêter à Cambrai,
et cet autre jour où l’un de ses meurtriers à solde reparut pour lui annoncer
que ses compères n’avaient pu dépasser Reims et moisissaient à présent dans les
prisons du « roi trouvé ».
    Puis Robert tomba malade, de la plus
sotte façon. Étant réfugié dans une maison en bordure d’un canal où se
déroulaient des joutes d’eau, la curiosité lui fit passer la tête jusqu’au col
à travers une nasse à poisson qui masquait la fenêtre. Il se poussa si bien
qu’il ne put se retirer qu’après de longs efforts, en s’arrachant le cuir des
joues au grillage de la nasse. L’infection se mit dans les écorchures et la
fièvre bientôt le saisit, dont il grelotta quatre jours, tout près de
trépasser.
    Dégoûté des Marches flamandes, il se
rendit à Genève. Traînant ses chausses le long du lac, ce fut là qu’il apprit
l’arrestation de la comtesse de Beaumont, son épouse, et de leurs trois
enfants. Philippe VI, par représailles contre Robert, n’avait pas hésité à
enfermer sa propre sœur d’abord au donjon de Nemours, puis à Château-Gaillard.
La prison de Marguerite ! Vraiment la Bourgogne prenait bien sa revanche.
    De Genève, voyageant sous un nom
d’emprunt et vêtu comme un quelconque bourgeois, Robert gagna Avignon. Il y
resta deux semaines, cherchant à intriguer pour sa cause. Il trouva la capitale
de la chrétienté débordante de richesses et de plus en plus dissolue. Ici les
ambitions, les vanités, les vices ne s’adoubaient pas d’une cuirasse de
tournoi, mais se dissimulaient sous des robes de prélats ; les signes de
la puissance ne s’étalaient pas en harnais d’argent ou en heaumes empanachés,
mais en mitres incrustées de pierres précieuses, en ciboires d’or plus lourds
que des hanaps de roi. On ne se défiait point en batailles, mais on se haïssait
en sacristie. Les confessionnaux n’étaient pas sûrs ; et les femmes se
montraient plus infidèles, plus méchantes, plus vénales que partout ailleurs,
puisqu’elles ne pouvaient tirer noblesse que du péché.
    Et pourtant nul ne voulait se
compromettre pour l’ancien pair de France. On se rappelait à peine l’avoir
connu. Même dans ce bourbier Robert apparaissait comme un pestiféré. Et la
liste de ses rancunes s’allongeait.
    Toutefois, il eut quelque
consolation à constater, en écoutant les gens, que les affaires de son cousin
Valois étaient moins brillantes qu’on eût pu le croire. L’Église cherchait à
décourager la croisade. Quelle serait, une fois Philippe VI et ses alliés
embarqués, la situation de l’Occident laissé à la discrétion de l’Empereur et
du roi anglais ? Si jamais ces deux souverains venaient à s’unir… Déjà le
passage général avait été reculé de deux ans. Le printemps de 1334 s’était
achevé sans que rien fût prêt. On parlait maintenant de l’année 36.
    Pour sa part, Philippe VI,
présidant lui-même une assemblée plénière des docteurs de Paris sur la montagne
Sainte-Geneviève, brandissait la menace d’un décret d’hérésie contre le vieux
pontife, âgé de quatre-vingt-dix ans, si celui-ci ne rétractait pas ses thèses
théologiques. D’ailleurs, on donnait la mort de Jean XXII pour
imminente ; mais il y avait dix-huit ans qu’on annonçait cela !
    « Rester vivant, se répétait
Robert, voilà toute l’affaire ; durer, pour attendre le jour où l’on
gagne. »
    Déjà le trépas de quelques-uns de
ses ennemis venait lui rendre l’espérance. Le trésorier Forget était mort à la
fin de l’autre année ; le chancelier Guillaume de Sainte-Maure venait de
mourir à son tour. Le duc Jean de Normandie,

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