Le Lis et le Lion
n’en
trouveriez-vous un autre ! Et que penseriez-vous si l’on reprenait
maintenant l’affaire, et qu’on vînt dire à vos foulons, vos tisserands, vos
marchands, vos communaux : « Votre comte ne tient pas ses droits de
bonne main ; son hommage, il ne le devait point au roi de France. Votre
suzerain, c’est celui de Londres ! »
Un songe, en vérité, mais qui
séduisait Jakob Van Artevelde. La laine qui arrivait du nord-ouest par la mer,
les étoffes, rudes ou précieuses, qui repartaient par le même chemin, le trafic
des ports, tout incitait la Flandre à tourner ses regards vers le royaume
anglais. Du côté de Paris rien ne venait, sinon des collecteurs d’impôts.
— Mais croyez-vous,
Monseigneur, en bonne raison, qu’aucune personne au monde puisse être
convaincue de ce que vous dites, et puisse consentir à pareille
entreprise ?
— Une seule, messire, il suffit
qu’une seule personne soit convaincue : le roi d’Angleterre lui-même.
Quelques jours plus tard, à Anvers,
muni d’un passeport de marchand drapier, et suivi de Gillet de Nelle qui
portait, pour la forme, quelques aunes d’étoffe, Monseigneur Robert d’Artois
s’embarquait pour Londres.
II
WESTMINSTER HALL
À nouveau un roi était assis,
couronne en tête, sceptre en main, entouré de ses pairs. À nouveau, prélats,
comtes et barons étaient alignés de part et d’autre de son trône. À nouveau,
clercs, docteurs, juristes, conseillers, dignitaires s’offraient à sa vue, en
rangs pressés.
Mais ce n’étaient pas les lis de
France qui semaient le manteau royal ; c’étaient les lions des
Plantagenets. Ce n’étaient point les voûtes du Palais de la Cité qui
renvoyaient sur la foule l’écho de sa propre rumeur, mais l’admirable charpente
de chêne, aux immenses arcs ajourés, du grand hall de Westminster. Et c’étaient
six cents chevaliers anglais, venus de tous les comtés, et les squires et les
shérifs des villes, qui constituaient, couvrant les larges dalles carrées, le
Parlement d’Angleterre siégeant au complet.
Pourtant, c’était afin d’écouter une
voix française que cette assemblée avait été convoquée.
Debout, drapé dans un manteau
d’écarlate, à mi-hauteur des marches de pierre au fond du hall, et comme ourlé
d’or par la lumière tombant derrière lui du gigantesque vitrail, le compte
Robert d’Artois s’adressait aux délégués du peuple de Grande-Bretagne.
Car pendant les deux années écoulées
depuis que Robert avait quitté les Flandres, la roue du destin avait accompli
un bon quart de tour. Et d’abord le pape était mort.
Vers la fin de 1334, le petit
vieillard exsangue qui, au cours d’un des plus longs règnes pontificaux, avait
rendu à l’Église une administration forte et des finances prospères, était
obligé, du fond de son lit, dans la chambre verte de son grand palais
d’Avignon, de renoncer publiquement aux seules thèses que son esprit eût
défendues avec conviction. Pour éviter le schisme dont l’Université de Paris le
menaçait, pour obéir aux ordres de cette cour de France en faveur de laquelle
il avait réglé tant d’affaires douteuses et gardé bouche close sur tant de
secrets, il reniait ses écrits, ses prêches, ses encycliques. Maître Buridan [27] dictait ce qu’il convenait de penser en matière de dogme : l’enfer
existait, plein d’âmes à rôtir, afin de mieux assurer aux princes de ce monde
la dictature sur leurs sujets ; le paradis était ouvert, comme une bonne
hôtellerie, aux chevaliers loyaux qui avaient bien massacré pour le compte de
leur roi, aux prélats dociles qui avaient bien béni les croisades, et sans
qu’il soit, à ces justes, besoin d’attendre le jugement dernier pour jouir de
la vision béatifique de Dieu.
Jean XXII était-il encore
conscient quand il signa ce reniement forcé ? Il mourait le lendemain. Il
y eut d’assez méchants docteurs, sur la montagne Sainte-Geneviève, pour dire en
se moquant :
— Il doit savoir à présent si
l’enfer existe !
Alors le conclave s’était réuni, et
dans un lacis d’embrouilles qui menaçait de rendre cette élection plus longue
encore que les précédentes. La France, l’Angleterre, l’Empereur, le bouillant
Bohême, l’érudit roi de Naples, Majorque, Aragon, et la noblesse romaine, et
les Visconti de Milan, et les Républiques, toutes les puissances pesaient sur
les cardinaux.
Afin de gagner du temps et de ne
faire avancer si
Weitere Kostenlose Bücher