Le Lis et le Lion
présent l’Angleterre, par
représailles, nous menace de couper les livraisons de ses laines. Ce jour-là,
nos foulons et tisserands, ici et dans toute la Flandre, n’auront plus qu’à
briser leurs métiers et fermer leurs échoppes. Mais ce jour-là aussi,
Monseigneur, ils reprendront leurs couteaux… et Hainaut, Brabant, Hollande,
Zélande seront avec nous, car ces pays ne tiennent à la France que par les
mariages de leurs princes, mais non par le cœur du peuple, ni par son
ventre ; on ne règne pas longtemps sur des gens qu’on affame.
Robert écoutait Artevelde avec
grande attention. Enfin un homme qui parlait clair, qui savait son sujet, et
qui semblait appuyé sur une force véritable.
— Pourquoi, si vous devez vous
révolter encore, dit Robert, ne pas vous allier franchement au roi
d’Angleterre ? Et pourquoi ne pas prendre langue avec l’empereur
d’Allemagne qui est ennemi du pape, donc ennemi de la France qui tient le pape
dans sa main ? Vos milices sont courageuses, mais limitées à de petites actions
parce qu’il leur manque des troupes à cheval. Faites-les soutenir d’un corps de
chevaliers anglais, d’un corps de chevaliers allemands, et avancez-vous en
France par la route d’Artois. Là, je gage de vous gagner encore plus de monde…
Il voyait déjà la coalition formée
et lui-même chevauchant à la tête d’une armée.
— Croyez bien, Monseigneur, que
j’y ai souvent pensé, répondit Artevelde, et qu’il serait aisé de parler avec
le roi d’Angleterre, et même avec l’Empereur Louis de Bavière, si nos bourgeois
y étaient prêts. Les hommes des communes haïssent le comte Louis, mais c’est
néanmoins vers le roi de France qu’ils se tournent pour en obtenir justice. Ils
ont fait serment au roi de France. Même quand ils prennent les armes contre
lui, il demeure leur maître. En outre, et c’est là manœuvre habile de la part
de la France, on a contraint nos villes à reconnaître qu’elles verseraient deux
millions de florins au pape si elles se révoltaient contre leur suzerain, et
ceci sous menace d’excommunication si nous ne payions pas. Les familles
redoutent d’être privées de prêtres et de messes.
— C’est-à-dire qu’on a obligé
le pape à vous menacer d’excommunication ou de ruine, afin que vos communes se
tiennent tranquilles durant la croisade. Mais qui pourra vous forcer à payer,
quand l’ost de France sera en Égypte ?
— Vous savez comment sont les
petites gens, dit Artevelde ; ils ne connaissent leur force que lorsque le
moment d’en user est passé.
Robert vida la grande chope de bière
qui était devant lui ; il prenait goût à la bière, décidément. Il resta un
moment silencieux, les yeux fixés sur la boiserie. La maison de Jakob Van
Artevelde était belle et confortable ; les cuivres, les étains bien
astiqués, les meubles de chêne y luisaient dans l’ombre.
— C’est donc l’allégeance au
roi de France qui vous empêche de contracter des alliances et de reprendre les
armes ?
— C’est cela même, dit
Artevelde.
Robert avait l’imagination vive.
Depuis trois ans et demi, il trompait sa faim de vengeance avec de petites
pâtures, envoûtes, sortilèges, tueurs à gages qui n’arrivaient pas jusqu’aux
victimes désignées. Soudain son espérance retrouvait d’autres dimensions ;
une grande idée germait, enfin digne de lui.
— Et si le roi d’Angleterre
devenait le roi de France ? demanda-t-il.
Artevelde regarda Robert d’Artois
avec incrédulité, comme s’il doutait d’avoir bien entendu.
— Je vous dis, messire :
si le roi d’Angleterre était le roi de France ? S’il revendiquait la
couronne, s’il faisait établir ses droits, s’il prouvait que le royaume de France
est sien, s’il se présentait comme votre suzerain légitime ?
— Monseigneur, c’est un songe
que vous bâtissez là !
— Un songe ? s’écria
Robert. Mais cette querelle-là n’a jamais été jugée, ni la cause perdue !
Quand mon cousin Valois a été porté au trône… quand je l’ai porté au trône, et
vous voyez la grâce qu’il m’en garde !… les députés d’Angleterre sont
venus faire valoir les droits de la reine Isabelle et de son fils Édouard. Il
n’y a pas si longtemps ; il y a moins de sept ans. On ne les a pas entendus
parce qu’on ne voulait pas les entendre, et que je les ai fait reconduire à
leur vaisseau. Vous appelez Philippe le roi trouvé ; que
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