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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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peu que ce soit aucune candidature, ceux-ci, une fois
enfermés, s’étaient tous tenu le même raisonnement : « Je vais voter
pour l’un d’entre nous qui n’a nulle chance d’être élu. »
    L’inspiration divine a d’étranges
détours ! Les cardinaux étaient si bien d’accord, in petto, sur celui qui
avait les moindres chances, sur celui qui ne pouvait pas être pape, que tous
les bulletins sortirent avec le même nom : celui de Jacques Fournier, le
« cardinal blanc » comme on l’appelait, parce qu’il continuait de
porter son habit de Cîteaux. Les cardinaux, le peuple quand on lui fit
l’annonce, et l’élu lui-même se trouvèrent également stupéfaits. Le premier mot
du nouveau pape fut pour déclarer à ses collègues que leur choix était tombé
sur un âne. C’était trop de modestie.
    Benoît XII, l’élu par erreur,
apparut bientôt comme un pape de paix. Il avait consacré ses premiers efforts à
arrêter les luttes qui ensanglantaient l’Italie, et rétablir, si cela se
pouvait, la concorde entre le Saint-Siège et l’Empire. Or, cela se pouvait.
Louis de Bavière avait répondu très favorablement aux avances d’Avignon, et
l’on s’apprêtait à poursuivre, quand Philippe de Valois était entré en fureur.
Comment ! on se passait de lui, le premier monarque de la chrétienté, pour
entamer des négociations si importantes ? Une influence autre que la
sienne viendrait à s’exercer sur le Saint-Siège ? Son cher parent, le roi
de Bohême, devrait renoncer à ses chevaleresques projets sur l’Italie ?
    Philippe VI avait intimé
l’ordre à Benoît XII de rappeler ses ambassadeurs, d’arrêter les
pourparlers, et ceci sous menace de confisquer aux cardinaux tous leurs biens
en France.
    Puis, accompagné toujours du cher
roi de Bohême, du roi de Navarre et d’une si nombreuse escorte de barons et de
chevaliers qu’on eût dit déjà une armée, Philippe VI, au début de 1336,
venait faire ses Pâques en Avignon. Il y avait donné rendez-vous au roi de
Naples et au roi d’Aragon. C’était là manière de rappeler le nouveau pape à ses
devoirs, et de l’amener à bien comprendre ce qu’on attendait de lui.
    Or Benoît XII allait montrer,
par un tour de sa façon, qu’il n’était pas absolument l’âne qu’il prétendait
être, et qu’un roi, désireux d’entreprendre une croisade, avait quelque intérêt
à se ménager l’amitié du pape.
    Le Vendredi saint, Benoît montait en
chaire pour prêcher la souffrance de Notre-Seigneur et recommander le voyage de
la croix. Pouvait-il faire moins, quand quatre rois croisés et deux mille
lances campaient autour de sa ville ? Mais le dimanche de Quasimodo,
Philippe VI, parti vers les côtes de Provence inspecter sa grande flotte,
eut la surprise de recevoir une belle lettre en latin qui le relevait de son
vœu et de ses serments. Puisque l’état de guerre continuait de régner entre les
nations chrétiennes, le Saint-Père refusait de laisser s’éloigner vers les
terres infidèles les meilleurs défenseurs de l’Église.
    La croisade des Valois s’arrêterait
à Marseille.
    En vain le roi chevalier l’avait-il
pris de haut ; l’ancien cistercien l’avait pris de plus haut encore. Sa
main qui bénissait pouvait aussi excommunier et l’on imaginait mal une croisade
excommuniée au départ !
    — Réglez, mon fils, vos
différends avec l’Angleterre, vos difficultés avec les Flandres ;
laissez-moi régler les difficultés avec l’Empereur ; apportez-moi la
preuve que bonne paix, bien certaine et durable, va régner sur nos pays, et
vous pourrez ensuite aller convertir les Infidèles aux vertus que vous aurez
vous-même montrées.
    Soit ! Puisque le pape le lui
imposait, Philippe allait régler ses différends. Et avec l’Angleterre d’abord…
en remettant le jeune Édouard dans ses obligations de vassal, et en lui
enjoignant de livrer sans tarder ce félon de Robert d’Artois auquel il donnait
asile. Les fausses grandes âmes, lorsqu’elles sont blessées, se cherchent ainsi
de misérables revanches.
    Quand l’ordre d’extradition,
transmis par le sénéchal de Guyenne, était parvenu à Londres, Robert avait déjà
pris pied solidement à la cour d’Angleterre. Sa force, ses manières, sa faconde
lui avaient attiré de nombreuses amitiés ; le vieux Tors-Col chantait ses
louanges. Le jeune roi avait grand besoin d’un homme d’expérience qui connût
bien les affaires de

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