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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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françaises
prirent la fuite ; leur émoi devait les porter sans souffler jusqu’à
Saint-Omer, à quarante lieues en arrière.
    Le roi n’eut que le temps de passer
une cotte aux armes de France, se couvrir la tête d’un bassinet de cuir blanc
et sauter sur son destrier pour rassembler ses héros.
    Les adversaires, en cette bataille,
avaient chacun commis une lourde faute, par vanité. Les chevaliers français
avaient méprisé les communaux de Flandre ; mais ceux-ci, afin de montrer
qu’ils étaient gens de guerre autant que les seigneurs, s’étaient équipés
d’armures ; or, ils venaient à pied !
    Le comte de Hainaut et son frère
Jean, dont les cantonnements se trouvaient un peu à l’écart, se lancèrent les
premiers pour prendre les Flamands à revers et désorganiser leur attaque. Les
chevaliers français, rameutés par le roi, purent alors se ruer sur cette
piétaille qu’alourdissait un orgueilleux équipement, la culbuter, la fouler aux
sabots des lourds destriers, en faire massacre. Les Lancelot et les Galaad se
contentaient de pourfendre et d’assommer, laissant leurs valets d’arme achever
au couteau les vaincus. Qui cherchait à fuir était renversé par un cheval à la
charge ; qui s’offrait à se rendre était dans l’instant égorgé. Il resta
sur le terrain treize mille Flamands qui formaient un fabuleux monceau de fer
et de cadavres, et l’on ne pouvait rien toucher, herbe, harnais, homme ou bête,
qui ne fût poisseux de sang.
    La bataille du mont Cassel,
commencée en déroute, s’achevait en victoire totale pour la France. On en
parlait déjà comme d’un nouveau Bouvines.
    Or le vrai vainqueur n’était pas le
roi, ni le vieux connétable Gaucher, ni Robert d’Artois, si grande vaillance
qu’ils eussent prouvée en s’éboulant comme avalanche dans les rangs adverses.
Celui qui avait tout sauvé était le comte Guillaume de Hainaut. Mais ce fut
Philippe VI, son beau-frère, qui moissonna la gloire.
    Un roi aussi puissant que l’était
Philippe ne pouvait plus tolérer aucun manquement de la part de ses vassaux. On
envoya donc sommation au roi anglais, duc de Guyenne, de venir rendre hommage
et de se hâter.
    Il n’est guère de défaites
salutaires, mais il est des victoires malheureuses. Peu de journées devaient
coûter aussi cher à la France que celle de Cassel, car elle accrédita plusieurs
idées fausses : à savoir d’abord que le nouveau roi était invincible, et
ensuite que les gens de pied ne valaient rien à la guerre. Crécy, vingt ans
plus tard, serait la conséquence de cette illusion.
    En attendant, quiconque avait
bannière, quiconque portait lance, et jusqu’au plus simple écuyer, considérait
avec pitié, du haut de sa selle, les espèces inférieures qui s’en allaient à
pied.
    Cet automne-là, vers le milieu du
mois d’octobre, Madame Clémence de Hongrie, la reine à la mauvaise fortune qui
avait été la seconde épouse de Louis Hutin, mourut à trente-cinq ans, en
l’ancien hôtel du Temple, sa demeure. Elle laissait tant de dettes qu’une
semaine après sa mort tout ce qu’elle possédait, bagues, couronnes, joyaux,
meubles, linge, orfèvrerie, et jusqu’aux ustensiles de cuisine, fut mis aux
enchères sur la demande des prêteurs italiens, les Bardi et les Tolomei.
    Le vieux Spinello Tolomei, traînant
la jambe, poussant le ventre, un œil ouvert et l’autre clos, fut à cette vente
où six orfèvres-priseurs, commis par le roi, firent les estimations. Et tout
fut dispersé de ce qui avait été donné à la reine Clémence en une année de
précaire bonheur.
    Quatre jours durant on entendit les
priseurs, Simon de Clokettes, Jean Pascon, Pierre de Besançon et Jean de Lille,
crier :
    — Un bon chapeau d’or [5] ,
auquel il y a quatre gros rubis balais, quatre grosses émeraudes, seize petits
balais, seize petites émeraudes et huit rubis d’Alexandrie, prisé six cents
livres. Vendu au roi !
    — Un doigt, où il y a quatre
saphirs dont trois carrés et un cabochon, prisé quarante livres. Vendu au
roi !
    — Un doigt, où il y a six rubis
d’Orient, trois émeraudes carrées et trois diamants d’émeraude, prisé deux
cents livres. Vendu au roi !
    — Une écuelle de vermeil,
vingt-cinq hanaps, deux plateaux, un bassin, prisés deux cents livres. Vendus à
Monseigneur d’Artois, comte de Beaumont !
    — Douze hanaps en vermeil
émaillé aux armes de France et de Hongrie, une grande salière en vermeil

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