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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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sang !
    — Il vous faudra le faire
prendre à Saint-Jacques, mon ami, où il est en pèlerinage avec vos deniers.
    — À son retour, alors !
    — Ne craignez-vous pas qu’il
parle un peu trop haut pendant qu’on le fouettera ?
    Robert haussa les épaules.
    — Heureux encore que la chose
se soit passée ici, et non en lecture devant le Parlement ! Il vous faudra
veiller davantage, ma mie, pour les autres pièces, à ce que de telles erreurs
ne se commettent plus.
    Madame de Beaumont trouvait injuste
que la colère de son époux se tournât contre elle. Elle déplorait l’erreur tout
autant que lui, s’en attristait également, mais après tout le mal qu’elle
s’était donné, après s’être écorché les mains à couper la cire de tant de
sceaux, elle estimait que Robert eût pu se contenir et ne pas la traiter en
coupable.
    — Après tout, Robert, pourquoi
vous acharnez-vous tant à ce procès ? Pourquoi risquez-vous et me faites
risquer, ainsi qu’à tant de personnes de votre entourage, d’être un jour
convaincus de mensonge et de faux ?
    — Ce ne sont pas des mensonges,
ce ne sont pas des faux ! hurla Robert. C’est le vrai que je veux faire
éclater aux yeux de tous, alors qu’on s’est obstiné à le cacher !
    — Soit, c’est le vrai,
dit-elle ; mais un vrai, avouez-le, qui a mauvaise apparence. Craignez,
sous de tels habits, qu’on ne le reconnaisse pas ! Vous avez tout, mon
ami ; vous êtes pair du royaume, frère du roi par moi qui suis sa sœur, et
tout-puissant en son Conseil ; vos revenus sont larges, et ce que je vous
ai apporté par dot et héritage fait votre fortune enviable par tous. Que ne
laissez-vous l’Artois ! Ne pensez-vous pas que nous avons assez joué à un
jeu qui peut nous coûter fort cher ?
    — Ma mie, vous raisonnez bien
mal et je m’étonne de vous entendre, vous si sage d’ordinaire, parler de la
sorte. Je suis premier baron de France, mais un baron sans terre. Mon petit
comté de Beaumont, qui ne m’a été donné qu’en compensation, est domaine de la
couronne : je ne l’exploite pas, on m’en sert les revenus. On m’a élevé à
la pairie, vous venez de le dire vous-même, parce que le roi est votre
frère ; or, Dieu puisse nous le garder longtemps, mais un roi n’est pas
éternel. Nous en avons vu suffisamment passer ! Que Philippe vienne à
mourir, est-ce moi qui aurai la régence ? Que sa mâle boiteuse d’épouse,
qui me hait et qui vous hait, s’appuie sur la Bourgogne pour régenter, serai-je
aussi puissant, et le Trésor me paiera-t-il toujours mes revenus ? Je n’ai
point d’administration, je n’ai point de justice, je n’ai pas vraiment de
grands vassaux, je ne peux point tirer de ma terre des hommes à moi qui me
doivent toute obéissance et que je puisse placer aux emplois. Qui nantit-on des
charges aujourd’hui ? Des gens venus de Valois, d’Anjou, du Maine, des
apanages et fiefs du bon Charles, votre père. Où puisé-je mes propres
serviteurs ? Parmi ceux-là. Je vous le répète, je n’ai rien. Je ne puis
lever de bannières assez nombreuses qui fassent trembler devant moi. La
puissance vraie ne se compte qu’au nombre de châtellenies qu’on commande et
dont on peut tirer des hommes de guerre. Ma fortune ne repose que sur moi, sur
mes bras, sur la place que j’occupe au Conseil ; mon crédit n’est fondé
que sur la faveur, et la faveur ne tient que ce que Dieu le veut. Nous avons
des fils ; eh bien ! Pensez à eux, ma mie, et comme il n’est pas bien
sûr qu’ils aient hérité ma cervelle, je voudrais bien leur laisser la couronne
d’Artois… qui est leur lot par juste héritage !
    Il n’en avait jamais dit aussi long
sur ses pensées profondes, et la comtesse de Beaumont, oubliant ses griefs du
moment précédent, voyait son mari lui apparaître sous un jour nouveau, non plus
seulement comme le colosse rusé dont les intrigues l’amusaient, le mauvais
sujet capable de toutes les coquineries, le trousseur de toutes les filles
qu’elles fussent nobles, bourgeoises ou servantes, mais comme un vrai grand
seigneur, raisonnant les lois de sa condition. Charles de Valois, lorsque
autrefois il courait après un royaume ou une couronne d’empereur, et cherchait
pour ses filles des alliances souveraines, justifiait ses actes par de
semblables soucis.
    À ce moment un écuyer frappa à la
porte : la dame de Divion demandait à parler au comte, de toute urgence.
    — Que me veut-elle

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