Le Lis et le Lion
encore,
celle-là ? Elle ne craint donc pas que je l’écrase ? Faites-la venir.
La Divion apparut, hagarde, porteuse
d’une très mauvaise nouvelle. Ses deux mesquines en Artois, Marie la Blanche et
Marie la Noire, celles qui l’avaient aidée à acheter plusieurs des sceaux de la
fausse lettre, se trouvaient en prison, appréhendée par les sergents de la
comtesse Mahaut.
V
MAHAUT ET BÉATRICE
— Que le diable vous fasse
sécher les entrailles à tous, mauvaises gens que vous êtes ! criait la
comtesse Mahaut. Comment ? je fais saisir ces deux femmes, par lesquelles
on pouvait tout savoir, et pas plus tôt elles sont prises, voici qu’on les
relâche ?
La comtesse Mahaut, en son château
de Conflans sur la Seine, près de Vincennes, venait d’apprendre, quelques
minutes plus tôt, que les deux servantes de la Divion, arrêtées sur son ordre
par le bailli d’Arras, avaient été libérées. Sa colère était grande et
« les mauvaises gens » auxquels ses malédictions s’adressaient
n’étaient représentés pour l’heure que par la seule Béatrice d’Hirson, sa
demoiselle de parage, sur laquelle elle déchargeait sa fureur. Le bailli
d’Arras était un oncle de Béatrice, un frère cadet de feu l’évêque Thierry.
— Ces mesquines, Madame… n’ont
été relâchées que sur un ordre du roi, présenté par deux sergents d’armes,
répondit calmement Béatrice.
— Allons donc ! Le roi se
moque bien de deux servantes qui tiennent cuisine dans un faubourg
d’Arras ! Elles ont été relâchées sur l’ordre de mon Robert qui a couru
chez le roi pour obtenir leur élargissement. A-t-on seulement pris le nom des
sergents ? S’est-on assuré qu’ils étaient bien des officiers royaux ?
— Ils se nomment Maciot
l’Allemant et Jean Le Servoisier, Madame… répondit Béatrice avec la même calme
lenteur.
— Deux sergents d’armes de
Robert ! Je connais ce Maciot l’Allemant ; il est de ceux que mon
gueux de neveu emploie à tous ses méchants coups. Et d’abord, comment Robert
a-t-il été averti que les servantes de la Divion avaient été prises ?
demanda Mahaut en jetant sur sa dame de parage un regard chargé de soupçon.
— Monseigneur Robert a gardé
beaucoup d’intelligences en Artois… vous ne l’ignorez pas, Madame.
— Je souhaite, dit Mahaut,
qu’il n’en ait pas trouvé parmi les gens qui me touchent de près… Mais c’est
déjà me trahir que de mal me servir, et je suis trahie de toutes parts.
Ah ! depuis la mort de Thierry, on dirait que vous n’avez plus de cœur
pour moi. Des ingrats ! Je vous ai tous couverts de mes bienfaits ;
depuis quinze ans je te traite comme ma propre fille…
Béatrice d’Hirson abaissa ses longs
cils noirs et regarda vaguement le dallage. Son visage ambré, lisse, aux lèvres
bien ourlées, ne trahissait aucun sentiment, ni humilité, ni révolte,
simplement une certaine fausseté par cet abaissement des cils
extraordinairement longs derrière lesquels s’abritait le regard.
— … Ton oncle Denis, dont
j’ai fait mon trésorier pour complaire à Thierry, me gruge et me dérobe !
Où sont les comptes des cerises de mon verger qu’il a vendues cet été sur le
marché de Paris ? Un jour viendra où j’exigerai contrôle de ses
registres ! Vous avez tout, terres, maisons, châteaux achetés avec les
profits que vous faites sur moi ! Ton oncle Pierre, un niais, que je nomme
bailli, pensant que d’être si sot au moins il me sera fidèle, le voilà qui
n’est plus même capable de tenir closes les portes de mes prisons ! On en
sort comme on veut, comme d’une auberge ou d’un bordeau !
— Mon oncle pouvait-il refuser,
Madame… devant le cachet du roi ?
— Et les quatre jours qu’elles
ont passés en geôle, qu’ont-elles dit ces servantes de mauvaise putain ?
Les a-t-on fait parler ? Ton oncle les a-t-il soumises à la
question ?
— Mais, Madame, dit Béatrice
toujours de la même voix lente, il ne le pouvait sans ordre de justice. Voyez
ce qui est advenu à votre bailli de Béthune…
D’un geste de sa grande main
tavelée, Mahaut balaya l’argument.
— Non, vous ne me servez plus
avec cœur, dit-elle, ou plutôt vous m’avez toujours mal servie !
Mahaut vieillissait. L’âge marquait
son corps de géante ; un rude duvet blanc croissait sur ses joues qui
s’empourpraient au moindre mécontentement ; la montée du sang lui
découpait alors comme une bavette
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