Le Lis et le Lion
mesquines, Marie la Blanche et
Marie la Noire, à rechercher les anciens cachets de bailliages et de
seigneuries.
Bientôt tous les sceaux furent
réunis, sauf un seul, le plus important, celui du feu comte Robert II. La
chose pouvait paraître absurde, mais c’était ainsi : tous les actes de
famille étaient enfermés aux registres d’Artois, sous la garde des clercs de
Mahaut, et Robert, mineur lors de la mort de son grand-père, n’en détenait
aucun.
La Divion, grâce à une sienne
cousine, approcha un personnage nommé Ourson le Borgne, qui possédait une
patente du feu comte, scellée avec « lacs de foi », et qui paraissait
disposé à s’en défaire moyennant trois cents livres. Madame Jeanne de Beaumont
avait bien dit qu’on achetât la pièce à n’importe quel prix ; mais la
Divion ne possédait pas tant d’argent en Artois ; et messire Ourson le
Borgne, méfiant, n’acceptait pas de se défaire de sa patente contre seules
promesses.
La Divion, à bout de ressources, se
souvint d’avoir un mari qui vivait assez benoîtement dans la châtellenie de
Béthune. Il ne lui avait jamais montré trop d’aigre jalousie, et maintenant que
l’évêque Thierry était mort… Elle recourut à lui. Sans doute, c’étaient beaucoup
de gens, à présent, mis dans la confidence ; mais il fallait bien en
passer par là. Le mari ne voulut pas prêter d’argent, mais consentit à se
défaire d’un bon cheval sur lequel il avait été en tournoi et que la Divion fit
accepter à messire Ourson en complément de gages, lui laissant également les
quelques bijoux qu’elle avait sur elle.
Ah ! elle se dépensait, la
Divion ! Elle ne ménageait ni son temps, ni sa peine, ni ses démarches, ni
ses voyages. Ni sa langue. Et puis elle faisait attention à ne plus rien
égarer ; elle dormait la tête sur ses clefs.
La main crispée par l’angoisse, elle
découpa au rasoir le sceau du feu comte Robert. Un sceau qui coûtait trois
cents livres ! Et comment retrouver le semblable si par malheur il allait
se briser ?
Monseigneur Robert s’impatientait un
peu, parce que tous les témoins, maintenant, étaient entendus, et que le roi
lui demandait, fort aimablement, et par marque d’intérêt, si les pièces dont il
avait juré l’existence seraient bientôt présentées.
Encore deux jours, encore un jour de
patience ; Monseigneur Robert allait être content !
IV
LES INVITÉS DE REUILLY
Robert d’Artois, pendant la saison
chaude, et quand le service du royaume ou les soucis de son procès lui en
laissent le temps, aime à passer les fins de semaine à Reuilly, dans un château
qui appartient à sa femme par héritage Valois.
Les prairies et les forêts
entretiennent une agréable fraîcheur autour de cette demeure. Robert garde là
son oisellerie de chasse. La maisonnée est nombreuse, car beaucoup de jeunes
nobles, avant d’obtenir la chevalerie, se placent chez Robert pour y être
écuyers, sommeliers, ou valets de sa chambre. Qui ne parvient pas à entrer dans
la maison du roi s’efforce d’être attaché à celle du comte d’Artois, se fait
recommander par des parents influents et, une fois accepté, cherche à se
distinguer par son zèle. Tenir la bride du cheval de Monseigneur, lui tendre le
gant de cuir sur lequel se posera son faucon muscadin, apporter son couvert à
table, incliner sur ses puissantes mains l’aiguière à eau, c’est s’avancer un
peu dans la hiérarchie de l’État ; venir secouer son oreiller, au matin,
pour l’éveiller, c’est presque secouer l’oreiller du Bon Dieu, puisque
Monseigneur, chacun s’accorde à le dire, fait à la cour la pluie et le beau temps.
Ce samedi du début de septembre, il
a invité à Reuilly quelques seigneurs de ses amis dont le sire de Brécy, le
chevalier de Hangest et l’archidiacre d’Avranches, et même le vieux comte de
Bouville, à demi aveugle, qu’il a fait prendre en litière. Pour ceux qui
voulaient se lever matin, il a offert une petite chasse au vol.
À présent ses hôtes sont réunis dans
la salle de justice où lui-même, en vêtements de campagne, se tient
familièrement assis dans son grand faudesteuil. La comtesse de Beaumont, son épouse,
est présente, et aussi le notaire Tesson qui a posé sur une table son écritoire
et ses plumes.
— Mes bons sires, mes amis,
dit-il, j’ai requis votre compagnie afin que vous me portiez conseil.
Les gens sont toujours flattés qu’on
requière leur avis…
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