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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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retard.
    — Beau parti que tu
feras ! s’écria Mahaut. Ah ! il sera bien pourvu, celui qui te
prendra pour femme et qui pourra rechercher ton pucelage dans le lit de tous
mes écuyers, avant que d’aller aussi y gagner ses cornes !
    — À l’âge que j’ai, Madame, et
où vous m’avez tenue fille pour vous servir… pucelage est plutôt malheur que
vertu. C’est de toute façon chose plus commune que les maisons et les biens que
j’apporterai à un mari.
    — Si tu les gardes, ma
fille ! Si tu les gardes ! Car ils ont été tondus sur mon dos !
    Béatrice sourit, et son regard noir
à nouveau se voila.
    — Oh… Madame, dit-elle avec une
extrême douceur, vous n’iriez point retirer vos bienfaits à qui vous a servie
en choses si secrètes… et que nous avons accomplies ensemble ?
    Mahaut la regarda avec haine.
    Béatrice savait lui rappeler les
cadavres royaux qui dormaient entre elles, les dragées du Hutin, le poison sur
les lèvres du petit Jean I er … et elle savait aussi comment la
scène finirait, par une montée de sang au visage de la comtesse, par la bavette
rouge marquée sur son cou bovin.
    — Tu ne te marieras pas !
Tiens, tiens, vois le mal que tu me fais, à me tenir tête, et sois contente,
dit Mahaut en se laissant choir sur un siège. Le sang me monte aux oreilles qui
sont toutes sonnantes ; il va falloir encore me faire saigner.
    — Ne serait-ce, Madame, de
manger trop qui vous oblige à vous faire tirer tant de sang ?
    — Je mangerai ce qui me plaît,
hurla Mahaut, et quand il me plaît ! Je n’ai pas besoin d’une ignorante
comme toi pour décider ce qui m’est bon. Va me chercher du fromage
anglais ! Et du vin ! Et ne tarde pas !
    Il ne restait plus de fromage
anglais aux resserres ; le dernier arrivage était épuisé.
    — Qui l’a mangé ? On me
vole ! Alors qu’on m’apporte un pâté en croûte !
    « Eh oui ! c’est cela.
Bourre-toi, et crève ! » pensait Béatrice en déposant le plateau.
    Mahaut saisit une large tranche, à
pleine main, et y mordit. Mais le craquement qu’elle entendit, et qui lui
résonna dans le crâne, n’était pas seulement celui de la croûte ; elle
venait de se casser une dent, une de plus.
    Ses yeux, gris et injectés,
s’élargirent un peu. Elle demeura immobile quelques instants, la tranche de
pâté d’une main, un verre de vin dans l’autre, et la bouche ouverte avec une
incisive, rompue au collet, qui s’était mise horizontale, contre la lèvre. Elle
posa le verre, détacha sans peine la partie brisée de la dent. Elle mesurait de
la langue la place vide sous la gencive, et tâtait la surface râpeuse,
blessante de la racine. En même temps, elle contemplait entre ses gros doigts
le petit morceau d’ivoire jauni, noir à la brisure, ce fragment d’elle-même qui
l’abandonnait.
    Mahaut releva les yeux parce que
Béatrice, devant elle, était en train de pouffer. Les bras croisés sur la
taille, les épaules agitées, la demoiselle de parage ne pouvait plus contenir
son fou rire. Avant qu’elle ait eu le temps de reculer, Mahaut fut sur elle et
la gifla à la volée, par deux fois. Le rire de Béatrice s’arrêta net ;
derrière les longs cils, les prunelles noires étincelèrent d’un éclat méchant,
puis s’éteignirent aussitôt.
    Ce soir-là, quand Béatrice aida la
comtesse à se dévêtir, il semblait que la paix fût rétablie entre elles.
Mahaut, revenue à son obsession, expliquait à Béatrice :
    — Comprends-tu pourquoi je
tenais tant à ce qu’on questionnât ces deux femmes ? Je suis certaine que
la Divion aide Robert à fabriquer de fausses pièces, et je voudrais qu’on le
prît la main dans le sac.
    Elle suçait machinalement son chicot
que le barbier avait limé.
    Béatrice, depuis la double gifle,
mûrissait un projet.
    — Puis-je, Madame… vous
proposer un conseil ? Accepteriez-vous de l’ouïr ?
    — Mais oui, ma fille, parle,
parle. Je suis vive, j’ai la main leste ; mais j’ai confiance en toi, tu
le sais bien.
    — Eh bien ! Madame, tout
le mal vient de l’héritage de mon oncle Thierry… et de ce que vous n’avez point
voulu payer ce qu’il laissait à la Divion. Une mauvaise créature, certes, et
qui ne méritait pas tant ! Mais vous vous êtes fait là une ennemie qui
tenait certains secrets de la bouche de mon oncle… et qui est en train de les
vendre à Monseigneur Robert. C’est une chance encore que j’aie pu vider à temps
le

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